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EDGAR QUINET ET LES ROUMAINS

des pentes de la montagne jusqu’au Danube. La Transylvanie est naturellement comme la citadelle du pays : c’est elle qui domine tout le reste, et qui, suivant ceux qui la détiennent, est pour la plaine soit une menace, soit une protection.

Les anciens Romains l’ont parfaitement compris. Pour conquérir et coloniser le pays, ils commencèrent par les hauteurs. Maître de la montagne, on l’est toujours de la plaine ; tandis que, si l’on se borne à occuper celle-ci, on demeure exposé aux incursions des montagnards qui y font des ravages périodiques et remontent ensuite dans leurs repaires inaccessibles. Trajan donc, dans cinq expéditions glorieuses, à partir de 101, conquit sur les Daces le massif de Transylvanie tout d’abord ; et les premières colonies romaines, qui marquèrent comme d’un sceau ineffaçable le sol conquis, furent aussi fondées en Transylvanie. Il appela des colons de toutes les parties de l’empire ; et ils vinrent en si grand nombre que, vingt ans après, l’empereur Hadrien, qui voulait abandonner cette nouvelle province, fut retenu par la crainte de livrer trop de Romains aux barbares. Du noyau primitif avait poussé un arbre que les siècles eux-mêmes ne pourront déraciner. Et les rameaux s’étendaient bien au delà sur la plaine alentour.

Aussi, cent cinquante à deux cents ans plus tard, lorsque l’empire romain dut reculer devant l’invasion des barbares, ceux-ci passèrent à côté de la Transylvanie et se répandirent au delà, la laissant derrière eux, flot de civilisation latine dans un océan de barbarie. Les descendants des colons romains y demeurèrent : ils y sont encore. La race s’est conservée plus pure peut-être que partout ailleurs, et aussi la langue, un latin reconnaissable en dépit des altérations. Vers la fin du xviiie siècle et au commencement du xixe, s’annonça une renaissance littéraire : le mouvement vint de Transylvanie. Une trentaine d’écrivains de ce pays composèrent un dictionnaire comparé de la langue roumaine, qu’on imprima, en 1825, à Budapest. Mais l’Autriche ne voulut pas laisser imprimer un autre livre, Chroniques roumaines, composé aussi en Transylvanie. Il ne fut publié que beaucoup plus tard, en 1853, à Jassy. Grâce à ces promoteurs qui appartenaient tous à la région montagneuse, le pays roumain reconstituait sa langue et son histoire.