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REVUE PÉDAGOGIQUE

que les colons et les indigènes qui étaient restés fidèles à la France : parmi ces derniers se trouvaient mes parents. Comme le nombre de soldats qui défendaient le village était insuffisant, mon père et mes oncles prirent leurs fusils ainsi que d’autres indigènes, et se placèrent dans les rangs des défenseurs. Quelques heures après, on apprit que les insurgés étaient nombreux ; le secours des soldats de Bou-Hadjar, village voisin de Souk-Ahras, seul pouvait délivrer ce dernier. Mais pour avoir ce secours, il fallait le dévouement d’un homme, et cet homme ce fut mon père. Déguisé en Bédouin, il traversa tous les douars insurgés et remit au commandant de Bou-Hadjar le courrier qui lui fut confié. Le gouvernement français récompensa sa fidélité et son dévouement en lui accordant une concession territoriale.

Quant à mon grand-père, que vous avez connu lorsque vous étiez à Constantine, il me suffit de vous dire qu’en récompense de ses nombreux services, il fut décoré de la croix de la Légion d’honneur, de la propre main de Napoléon III, à Paris.

Maintenant je compte, Monsieur le directeur, sur la bienveillance et l’affection que vous n’avez cessé de prodiguer aux indigènes du cours normal pour faire rendre aux Arabes la justice qu’ils méritent à tant de titres.

Veuillez agréer, etc.

Ben El Saïd Mokhtar,
instituteur-adjoint
à Mériout, par Saint-Arnaud (Algérie). »

Ainsi, mon correspondant Mokhtar se trouve véritablement malheureux d’avoir été pris pour un Kabyle, lui, un Arabe de Constantine ! Et il lui semble que cette confusion provient de l’opinion, généralement admise en France, que les Kabyles sont les seuls à bien profiter de l’instruction française en Algérie. Il est probable que mon cher correspondant se trompe ; l’erreur involontaire de M. Steeg peut avoir bien d’autres causes qu’une idée préconçue. Mais, puisqu’il est fait appel à mon témoignage, je dois à la vérité de déclarer que les élèves intelligents et studieux, au cours normal de Constantine, sont tantôt Arabes, tantôt Kabyles, et peut-être les premiers sont-ils plus souvent supérieurs aux seconds. Dans tous les cas, les Arabes n’y sont pas inférieurs aux Kabyles. Et voilà comment il a pu arriver qu’un Arabe, Mokhtar Ben El Hadj Saïd, ait parlé au nom de tous ses camarades. D’ailleurs, le fait n’est pas nouveau, car, en 1892 notamment, c’est encore un Arabe, M. Omara, aujourd’hui instituteur à Kalaa, qui a pris la parole devant M. le Président de la République, pour lui exprimer les sentiments de dévouement et de reconnaissance des populations indigènes de l’Algérie à l’égard de la France. D’autre part, les indigènes qui, depuis la conquête, se sont fait un nom, par exemple les Ben Daoud, les Sedira, les Kalafat, les Morsly, et bien d’autres, ne sont pas non plus des Kabyles.

Mais je ne veux pas me laisser entraîner plus loin par mon sujet. De ce qui précède, concluons cependant que les Arabes, au moins ceux des villes ou des agglomérations indigènes, ne sont pas moins