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REVUE PÉDAGOGIQUE

quaient la science à coups de règle sur la tête, la musique à coups de règle sur les doigts, et pour qui la morale tout entière consistait dans l’obéissance passive. La pauvre enfant, d’une délicatesse exquise, souffrit, se replia sur elle-même, devint d’une timidité excessive qui la gêna toute sa vie, et se promit déjà d’être bonne pour les autres « parce que cela faisait trop de mal de souffrir ». Mariée à vingt ans à M. de Barrau de Muratel, elle se consacra dès les premiers jours à une vieille tante de son mari, infirme et malade, et pendant cinq ans ne connut aucun plaisir mondain, ne fit aucune lecture ; sa malade l’absorba tout entière.

D’ailleurs elle n’était pas encore portée vers les recherches intellectuelles ; le goût ne lui en vint qu’avec la maternité : pour ses enfants (une fille et deux garçons), Mme de Barrau voulut comprendre ; elle voulut savoir, et grâce à cette volonté, servie par une intelligence d’élite et les aptitudes les plus variées, elle devint une des personnalités les plus cultivées de notre époque et une éducatrice incomparable.

Ah ! comme elle savait bien ce qu’elle voulait et comme elle allait droit à son but sans défaillance, la douce et timide femme ! Elle voulait que l’enfant fût bien portant et heureux ; elle voulait que toutes ses facultés fussent cultivées sans secousse et sans fatigue ; elle voulait surtout que l’être moral arrivât à son épanouissement le plus complet, et chacun des actes de sa vie d’éducatrice tendit à la réalisation de son idéal. Ses enfants, Amélie, Émile et Jean de Barrau, auxquels elle joignit quelques enfants d’amis, dont elle fit des privilégiés aussi bien que des siens, furent élevés à la campagne, ensemble, les garçons et les filles. On éveilla chez eux le goût du travail, au lieu de les forcer à travailler ; on fit une guerre impitoyable aux mots, on proscrivit les devoirs inutiles ; lisez la femme et l’éducation, l’ouvrage le plus remarquable peut-être qui ait été écrit sur l’éducation de la femme, mais trop peu connu parce qu’il parut à l’époque de nos désastres ; lisez les articles semés à plein cœur dans l’Ami de l’enfance, et vous verrez, puisque je n’ai pas la possibilité d’insister, ce que fut Mme de Barrau éducatrice. Quant aux résultats : sa fille en était à sa troisième année d’études à la Faculté de médecine de Paris quand elle s’est mariée ; son fils aîné a brillamment passé sa thèse de doctorat à la même Faculté ; son fils cadet, licencié