Page:Revue pédagogique, premier semestre, 1888.djvu/111

Cette page n’a pas encore été corrigée
101
DISCOURS DE M. GRÉARD À L’ACADÉMIE FRANÇAISE

moyen d’acquérir par lui-même l’éducation qu’il n’avait pas eu le temps de recevoir. Les spectacles de la nature, les chefs-d’œuvre de l’art ne le laissent pas indifférent. Le panorama d’Édimbourg lui arrache des cris d’enthousiasme qui réveillent ses compagnons de route. Il est touché des beautés de Rome, « où, des hauteurs du dôme de Saint-Pierre jusqu’aux profondeurs des catacombes, tout est jouissance et enseignement ». Il a l’effusion franche ; il ne quitte pas une ville sans la remercier des souvenirs qu’elle lui laisse, et il rend compte de ses impressions, sans prétention littéraire, avec une simplicité aimable. Mais les tableaux à grands traits, les croquis de paysages, les scènes de mœurs dont il sème son journal n’en sont que la distraction et la parure. L’effort de son attention est ailleurs. Ce sont les sociétés qu’il étudie, les hommes, et parmi les hommes, ceux — là surtout qui exercent ou qui sont appelés à exercer une action sur les destinées de leur pays. S’il n’avait pas l’accès des cours, son nom, sa personne, la haute distinction de son esprit, non moins que les lettres de créance dont il s’était muni, lui ouvraient tous les salons. Ses réflexions témoignent de la sagacité avec laquelle il sait démêler les ressorts des âmes et faire la part de toutes les influences, sur tout de l’influence des femmes, qu’il juge avec un tact exquis. J’imagine que si, à ce moment, par impossible, le pouvoir lui fût échu, bien des négociations lui auraient été faciles. Cependant ce qui le préoccupe, c’est moins peut-être l’avenir, dont il ne dispose point, que le passé dont le souvenir lui pèse. Il est toujours sous le coup des fautes de la Restauration ; il s’enquiert des appréciations des étrangers, et il ne fait pas difficulté de le reconnaître : on s’exprime très sévèrement sur les ordonnances de Juillet. À Vienne même, il ne trouve que dans un salon, celui de la comtesse Batthyani, ce qu’il appelle le pur royalisme à la française, ce qu’on devait appeler plus tard le royalisme des chevau—légers. « Je perdis là, écrit-il, une de mes illusions favorites, c’est-à-dire la conviction que les maisons souveraines étaient chaleureusement légitimistés. »

Il revenait de son voyage d’Angleterre lorsqu’il fut admis dans l’intimité de Mme Swetchine. Il ne s’y laissa pas engager du premier coup. Le fonds d’indépendance que toute sa vie il a conservé envers tout le monde le tint longtemps en défiance : cette