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INSTRUCTION DES INDIGÈNES EN ALGÉRIE

Ces soldats des bataillons de discipline ont reçu le nom de zéphirs et s’appellent entre camarades : les joyeux.

Les joyeux ! les zéphirs ! voilà qui est bien léger pour l’école primaire ! et non pas seulement pour l’école primaire, mais pour la gravité impassible des Arabes. Ce sont de rudes gars qui se battent comme des enragés à l’occasion. Mais, aussitôt qu’il s’agit de discipline, va-l’en voir s’ils viennent, Jean ! va-t’en voir s’ils viennent !

Je les ai vus, m’écrit un de mes correspondants, je les ai vus dans le Sahara travaillant au sondage des puits artésiens. J’ai cent fois causé d’eux avec leur chef. Prétendre faire de ces gaillards-là des instituteurs, c’est à pouffer de rire.

Ils refuseraient parfaitement d’aller dans ces fameux gourbis, et si on les y déportait ils n’y resteraient pas huit jours. Ils se donneraient de l’air, les zéphirs. Quant aux Arabes francisés des villes, si jamais on en trouve un qui consente à s’en aller dans les tribus, il fera encore plus chaud qu’il ne fait en Algérie.

À supposer même que l’on eût des instituteurs, les instituteurs ne trouveraient pas d’élèves.

— J’avais, me disait un inspecteur d’académie qui a exercé dans une des provinces de l’Algérie, j’avais des moniteurs indigènes, qui ne laissaient pas d’être instruits relativement, fort sérieux de caractère et d’allures, et que nous avions installés dans des maisons fort convenables. Vous pensez si l’administration les soutenait de toutes ses forces. Au début, tout alla bien : on y eut quelques peines, mais enfin on réussit à leur procurer des élèves. Puis les Arabes ne tardèrent pas à apprendre, — et cela devait nécessairement arriver, —. que la loi ne les forçait point d’envoyer leurs fils à l’école française. Tous s’en dispensèrent à qui mieux mieux. Le croiriez-vous ? quelques-uns de ces instituteurs n’eurent plus un seul élève. »

Il ne peut pas être question d’essayer d’appliquer en Algérie la loi de l’obligation scolaire. Il faut trouver un autre moyen d’assurer la fréquentation scolaire.

Medjoub ben Kalifat, que nous avons déjà cité, en indique un (Bulletin scolaire du département de Constantine, n° 7), et ce serait un moyen pécuniaire.

« Ne pourrait-on pas, par exemple, accorder des récompenses mensuelles ou trimestrielles, soit en argent, soit en habillements, aux enfants qui se seraient distingués par leur application et leur bonne conduite, ainsi que par leur assiduité à l’école ? Cette mesure, qui serait certainement couronnée de succès, a été, d’ailleurs, pratiquée, il y a une vingtaine d’années, à l’école arabe-française de Constantine, où elle a produit d’excellents résultats.

Les indigènes n’étant sensibles qu’au bénéfice immédiat, il faut, à mon avis, leur donner l’instruction dans un but essentiellement pratique. Que les écoles de filles soient des ouvroirs où l’on forme des couturières, des brodeuses, etc. ; que les écoles de garçons soient des écoles d’apprentissage pour les principaux métiers, ou bien des fermes-écoles, des écoles d’horticulture, où l’on formera des cultivateurs, des jardiniers, des vignerons, et que ces écoles