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Quand nous en serons là, Platon lui-même aurait-il désiré plus pour sa République ? Le temps sera venu enfin où, suivant son vœu, la République sera gouvernée par des sages ou par des princes amis des sages. Et voilà ce qu’aura fait le culte des lettres, voilà ce que produiront ces enseignements qui à l’heure présente se répandent de toutes parts au sein de la jeunesse aux applaudissements universels[1] !

Qui eût osé dire à celui qui poussait un tel cri de délivrance que la barbarie n’était pas vaincue, qu’elle aurait de prochains et terribles retours, et que lui-même expierait dix ans après, sur un bûcher de la place Maubert, le crime d’avoir trop tôt proclamé le triomphe de la pensée libre ?

Et pourtant le martyr de la Renaissance avait raison, et par-dessus les bûchers il avait bien vu l’avenir : il ne se trompait qu’en le croyant tout proche. Mais c’est cette illusion même qui nous rend si présents et si attachants ces hommes du xvie siècle. Un pied encore dans le moyen âge, ils ont déjà l’esprit moderne, déjà ils sont des nôtres : ils ont aimé ce que nous aimons et haï ce que nous haïssons.

En aucun domaine la parenté entre eux et nous n’apparaît plus profonde que dans celui de l’éducation. C’est un devoir de piété autant qu’un acte de justice historique de relever la trace presque effacée de la voie qu’ils avaient frayée et que la Révolution seule a pu rouvrir. Ils ont tenté prématurément d’introduire en France cette grande nouveauté, une éducation qui tirât tout de son propre fonds, c’est-à-dire de la nature humaine. Cette éducation nouvelle, ils n’ont pas cru impossible de l’alimenter directement aux sources pures de l’antiquité classique et de l’antiquité chrétienne ; ils prétendaient même le faire sans offenser ni Rome ni Wittemberg ni plus tard Genève. Quelques-uns des plus grands parmi nos humanistes n’ont pas dédaigné d’écrire d’humbles et charmants ouvrages d’enseignement pour tous ces collèges laïques qui, dans la première moitié du siècle, paissaient et prospéraient en des villes même où l’on n’avait jamais vu d’écoles qu’aux mains des religieux. Plusieurs de ces établissements avaient des principaux et des régents un peu

  1. Commentariorum linguæ latinæ tomus I, Stephano Dolelo Gallo Aurelio autore. Lugduni, ap. Seb. Gryphium, 1536, in-folio. — Col. 1155-1156.