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et fait le dénombrement de ses troupes : « Elles ont pour général en chef Guillaume Budé, ce maître sans égal dans les deux langues grecque et latine. À ses côtés paraît Lefèvre d’Étaples, défendu par le bouclier de la philosophie. » Suit la rapide énumération des humanistes français contemporains et émules de Dolet : elle commence par ses anciens maîtres Christophe Longueil et Nicolas Bérauld, elle se termine par Michel de l’Hôpital et François Rabelais. Les autres noms qui remplissent cette longue liste sont pour la plupart ceux-là mêmes qu’on va retrouver dans notre volume, ceux des principaux promoteurs du réveil des études en France. Voici maintenant en quels termes Etienne Dolet clôt sa brillante et chaleureuse digression :

Cette armée des lettrés, levée de tous les coins de l’Europe, fait de tels assauts au camp ennemi qu’enfin la barbarie n’a plus de refuge. Elle a depuis longtemps disparu d’Italie, elle est sortie d’Allemagne, elle s’est sauvée d’Angleterre, elle a fui hors d’Espagne, elle est bannie de France. Il n’y a plus une ville en Europe qui donne asile au monstre. Les lettres sont en honneur plus qu’elles ne l’ont jamais été. L’étude de tous les arts est florissante. Par les lettres, les hommes sont ramenés à l’étude si longtemps négligée du bien et du vrai. Maintenant l’homme apprend à se connaître ; maintenant il marche à la lumière du grand jour, au lieu de tâtonner misérablement à travers les ténèbres ; maintenant l’homme s’élève vraiment au-dessus de l’animal, par son âme qu’il sait cultiver et par son langage qu’il perfectionne.

N’avais-je pas raison de rendre hommage aux lettres et à leur triomphe ? Elles ont repris leur lustre antique et en même temps leur véritable mission, qui est de faire le bonheur de l’homme, de remplir sa vie de tous les biens. Ah ! si l’on parvenait seulement à éteindre l’envic que portent encore aux lettres et aux lettrés quelques hommes restés barbares, si l’on pouvait se débarrasser de cette peste, que manquerait-il à la félicité de notre âge ?

Mais courage ! Avec le temps le crédit de ces hommes ira déclinant. Et puis, elle grandira, cette jeunesse qui en ce moment reçoit une bonne et libérale instruction, et avec elle croîtra l’estime publique pour les lettres : elle fera descendre de leurs sièges les ennemis du savoir, elle occupera les emplois publics, elle entrera dans les conseils des rois, elle administrera les affaires de l’Etat et elle y apportera la sagesse. Son premier acte sera d’instituer partout ces bonnes études qui apprennent à fuir le vice, qui engendrent l’amour de la vertu, qui ordonnent aux rois de s’entourer d’hommes intègres, de fuir comme le poison les flatteurs et ces complaisants du vice dont les cours sont pleines.