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LE COLLÈGE DE VANNES EN 1830[1]



Je faisais ma rhétorique à Vannes en 1830, avec les frères Nayl, dont j’ai raconté l’histoire dans un livre, l’Affaire Nayl, qui vous est peut-être tombé sous la main[2]. Le collège et les écoliers du collège ne ressemblaient à rien de ce que j’ai connu depuis. Nous étions tous externes, et nous formions dans la ville une petite tribu qui était, ce me semble, assez considérée. Les médecins et les avocats connaissaient par leur nom les premiers élèves des hautes classes ; ils s’intéressaient à nos travaux ; ils prenaient part, à la fin de l’année, à des exercices publics, nous posaient des questions, discutaient avec nous sur des points de littérature et de philosophie. Plusieurs de mes camarades étaient des fils de paysans et portaient le vieux costume breton. Ils se destinaient à être prêtres. Ils étaient en général plus âgés qu’on ne l’est au collège. J’avais un camarade de vingt-quatre ans, et sa présence n’étonnait personne. La plupart de nos rhétoriciens avaient une vingtaine d’années.

Il devait bien y avoir quelques richards parmi nous, mais ils étaient bien clairsemés. Ce bon vieux collège était l’asile privilégié des écoliers pauvres. Deux ou trois institutions tenues par de vieilles demoiselles rassemblaient chacune une vingtaine de pensionnaires. C’étaient les jeunes gens de bonnes familles. Nous les regardions un peu comme des esclaves à la chaîne. Ils étaient mieux vêtus et mieux nourris que nous ; mais nous avions sur eux l’inestimable avantage d’être libres. Quatre heures de classe pendant cinq jours de la semaine, et le reste du temps la bride sur le cou. Du reste, nous étions tous laborieux et sages, en notre qualité de pauvres. Chacun sentait qu’il faudrait prochainement gagner sa vie.

  1. Nous reproduisons ici, en profitant de l’autorisation gracieusement accordée par l’auteur et par l’éditeur et dont nous leur exprimons toute notre reconnaissance, quelques pages charmantes écrites par M. Jules Simon pour la Revue illustrée de Bretagne et d’Anjou, et publiées dans un récent numéro de cet intéressant recueil, — La Rédaction.
  2. Ce livre, qui est un pur chef-d’œuvre, a été publié en 1883 dans la jolie collection bleue de l’éditeur Calmann Lévy. — Note de la rédaction de la Revue de Bretagne et d’Anjou.