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REVUE PÉDAGOGIQUE

n’y a pas besoin de le parler constamment ; mais il faut pouvoir expliquer, de manière à se mettre à la portée des auditeurs, les mots français qui ne sont pas compris d’abord par eux. Dans un récit fait par un paysan, il importe de comprendre assez son langage pour ne pas être obligé de l’arrêter et de lui demander la signification d’un terme obscur : une interruption coupe toujours la verve d’un conteur. Si l’on est embarrassé par un terme qu’on entend pour la première fois, — et cela peut arriver à ceux qui connaissent le mieux un patois, — il vaut mieux le noter, et attendre, pour s’enquérir de sa valeur exacte, que le conteur ait terminé son récit.

La parole allant plus vite que l’écriture, il est presque impossible d’arriver à reproduire toutes les paroles d’un conteur. Quelquefois même il n’aime pas à voir coucher par écrit ce qu’il dit, et il se méfie. Lorsqu’il n’y a pas à craindre une défiance de sa part, on peut prendre des jalons qui, la mémoire aidant, servent à reconstituer le récit entier. Si on est bien doué de ce côté, et, pour être bon collecteur de contes, c’est une qualité presque indispensable, avec quelques notes bien prises, surtout si on rédige tout de suite, on arrive à reproduire les phrases même des conteurs. Ceux-ci sont de diverses sortes. Quelques-uns, surtout parmi les enfants et les femmes, content avec un tel charme et une telle naïveté que le mieux est de les reproduire en élaguant seulement les répétitions inutiles (il en est au contraire qu’il faut conserver avec soin, car elles sont essentielles au récit), en traduisant les mots patois qui ne sont pas pittoresques et en remplaçant les façons de parler par trop incorrectes ; les mots patois qui sont bien faits, qui peignent bien, et qu’on peut expliquer par une courte note, donnent de la saveur au récit. Lorsqu’on n’a pas la chance d’avoir des conteurs excellents, il vaut encore mieux garder le récit sèchement fait des contes intéressants dans leur trame, que d’essayer de les rendre pittoresques. On risquerait de tomber dans la composition littéraire qui n’est pas ici de mise[1]. Un conte

  1. Dans mon livre des Contes des provinces de France, librairie Cerf, on trouvera de nombreux exemples des différentes manières des collecteurs de contes populaires français.