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SUR L’ART DE RECUEILLIR LES CONTES POPULAIRES

ou leurs formes, sont aussi le théâtre de merveilleux récits : sous ces pierres il y a des trésors que l’on ne peut avoir qu’à certaines heures, et que gardent des esprits terribles ou des monstres hideux : il faut pour leur échapper ou pour les séduire un charme aussi rare que le rameau d’or du poète. Parfois elles servent de demeure à des fées ou à des lutins : le peuple associe à ces créatures pré-chrétiennes les saints qui y ont laissé leur empreinte, les diables qui les ont lancées ou transportées, et dont on montre les griffes imprimées sur la pierre. Souvent tous ces génies se confondent et sont attachés au même monument. On est alors en présence de trois époques qui survivent dans la légende : les divinités anciennes sont devenues des fées ou des lutins, ou, par une transformation dernière, à laquelle les apôtres des païens aidèrent de tout leur pouvoir, des démons hideux et malfaisants ; au dieu local le peuple, parfois l’Église elle-même, a substitué un saint, héritier de plusieurs de ses attributions.

Les noms de lieux jouent ici un rôle important : on sait, par de nombreuses preuves, que rien ne se conserve mieux que les noms attribués à tel ou tel endroit. Lorsqu’un champ s’appelle le Clos de la Fée, on est porté à croire qu’une légende s’y rattache, et parfois on la retrouve. Dans la Haute-Bretagne, par exemple, où Margot est synonyme de fée, il m’est arrivé plusieurs fois, en entendant parler d’un lieu dit le Champ Margot ou la Pierre à Margot, d’interroger les paysans, et de rencontrer des légendes, tout au moins des souvenirs.

Ce monde de la féerie est, du reste, infini : les mines, surtout celles qui sont souterraines, ont leurs génies et leurs démons, les arbres ont les leurs, et des lutins, généralement malfaisants, se plaisent à jouer des tours aux laboureurs, rouillant le blé, tachant les pommes de terre, et se cachant dans les nuées orageuses qui versent la grêle ou dans les tourbillons qui font voler le foin en l’air.

Lorsque le patois est la langue courante d’un pays, il est naturellement indispensable de le connaître ; dans ceux où il n’est point une langue, mais un simple dialecte du français, sa connaissance est aussi très utile, presque nécessaire même. Il