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HENRI POINCARÉ — LA DYNAMIQUE DE L’ÉLECTRON

Mémoire à l’Académie des Sciences d’Amsterdam du 23 avril 1900.

Considérons un système d’électrons plongés dans un éther parcouru en tous sens par des ondes lumineuses ; un de ces électrons, frappé par l’une de ces ondes, va entrer en vibration ; sa vibration va être synchrone de celle de la lumière ; mais il pourra y avoir une différence de phase, si l’électron absorbe une partie de l’énergie incidente. Si, en effet, il absorbe de l’énergie, c’est que c’est la vibration de l’éther qui entraîne l’électron ; l’électron doit donc être en retard sur l’éther. Un électron en mouvement est assimilable à un courant de convection ; donc tout champ magnétique, en particulier celui qui est dû à la perturbation lumineuse elle-même, doit exercer une action mécanique sur cet électron. Cette action est très faible ; de plus, elle change de signe dans le courant de la période ; néanmoins, l’action moyenne n’est pas nulle s’il y a une différence de phase entre les vibrations de l’électron et celles de l’éther. L’action moyenne est proportionnelle à cette différence, par conséquent à l’énergie absorbée par l’électron.

Je ne puis entrer ici dans le détail des calculs ; disons seulement que le résultat final est une attraction entre deux électrons quelconques, égale à :

Dans cette formule, est la distance des deux électrons, et l’énergie absorbée par les deux électrons pendant l’unité des temps, l’énergie de l’onde incidente par unité de volume.

Il ne peut donc y avoir d’attraction sans absorption de lumière et, par conséquent, sans production de chaleur, et c’est ce qui a déterminé Lorentz à abandonner cette théorie, qui ne diffère pas au fond de celle de Lesage-Maxwell-Bartholi. Il aurait été beaucoup plus effrayé encore s’il avait poussé le calcul jusqu’au bout. Il aurait trouvé que la température de la Terre devrait s’accroître de 1013 degrés par seconde.

XVI.Conclusions.

Je me suis efforcé de donner en peu de mots une idée aussi complète que possible de ces nouvelles doctrines ; j’ai cherché à expliquer comment elles avaient pris naissance, sans quoi le lecteur aurait eu lieu d’être effrayé par leur hardiesse. Les théories nouvelles ne sont pas encore démontrées, il s’en faut de beaucoup ; elles s’appuient seulement sur un ensemble assez sérieux de probabilités pour qu’on n’ait pas le droit de les traiter par le mépris.

De nouvelles expériences nous apprendront, sans doute, ce qu’on en doit définitivement penser. Le nœud de la question est dans l’expérience de Kaufmann et celles qu’on pourra tenter pour la vérifier.

Qu’on me permette un vœu, pour terminer. Supposons que, d’ici quelques années, ces théories subissent de nouvelles épreuves et qu’elles en triomphent ; notre enseignement secondaire courra alors un grand danger : quelques professeurs voudront, sans doute, faire une place aux nouvelles théories. Les nouveautés sont si attrayantes, et il est si dur de ne pas sembler assez avancé ! Au moins, on voudra ouvrir aux enfants des aperçus et, avant de leur enseigner la Mécanique ordinaire, on les avertira qu’elle a fait son temps et qu’elle était bonne tout au plus pour cette vieille ganache de Laplace. Et alors, ils ne prendront pas l’habitude de la Mécanique ordinaire.

Est-il bon de les avertir qu’elle n’est qu’approchée ? Oui ; mais plus tard, quand ils s’en seront pénétrés jusqu’aux moelles, quand ils auront pris le pli de ne penser que par elle, quand ils ne risqueront plus de la désapprendre, alors on pourra, sans inconvénient, leur en montrer les limites.

C’est avec la Mécanique ordinaire qu’ils doivent vivre ; c’est la seule qu’ils auront jamais à appliquer ; quels que soient les progrès de l’automobilisme, nos voitures n’atteindront jamais les vitesses où elle n’est plus vraie. L’autre n’est qu’un luxe, et l’on ne doit penser au luxe que quand il ne risque plus de nuire au nécessaire.

Henri Poincaré,
de l’Académie des Sciences et de l’Académie française.

CE QUE L’ON DISAIT DES INDES OCCIDENTALES AVANT CHRISTOPHE COLOMB

Lorsqu’un Christophe Colomb levait l’ancre pour la traversée de l’Atlantique, lorsqu’un Barthélemy Diaz ou un Vasco de Gama tentait le périple de l’Afrique, il ne partait pas au hasard à la conquête de l’inconnu ; son esprit était hanté par une vision du but à atteindre et de la route à suivre ; c’est cette vision qui permettait à l’explorateur de préparer son expédition avec une sage prévoyance et de la diriger avec prudence ; c’est elle qui soutenait la foi de l’audacieux capitaine et lui donnait le pouvoir de raffermir ses compagnons découragés.

Cette vision, comment s’était-elle engendrée et développée en l’âme du navigateur ? Elle était née des idées répandues dans les livres et parmi les