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HENRI POINCARÉ — LA DYNAMIQUE DE L’ÉLECTRON

déterminer AC en grandeur et en direction. La longueur AB est constante (c’est la vitesse de la lumière), de sorte que les points B correspondant aux diverses étoiles seront tous sur une sphère de centre A. Comme BC est constant en grandeur et direction, les points C correspondant aux différentes étoiles seront tous sur une sphère de rayon AB et de centre A′, le vecteur AA′ étant égal et parallèle à BC. Si alors on avait pu déterminer, comme nous venons de le dire, les différents points C, on connaîtrait cette sphère, son centre A′ et, par conséquent, la grandeur et la direction de la vitesse absolue BC.

On aurait donc un moyen de déterminer la vitesse absolue de la Terre ; cela serait peut-être moins choquant qu’il ne semble d’abord ; il ne s’agit pas, en effet, de la vitesse par rapport à un espace absolu vide, mais de la vitesse par rapport à l’éther, que l’on regarde par définition comme étant en repos absolu.

D’ailleurs, ce moyen est purement théorique. En effet, l’aberration est très petite ; les variations possibles de l’ellipse d’aberration sont beaucoup plus petites encore, et, si nous regardons l’aberration comme du premier ordre, elles doivent donc être regardées comme du second ordre : un millième de seconde environ ; elles sont absolument inappréciables pour nos instruments. Nous verrons enfin plus loin pourquoi la théorie précédente doit être rejetée, et pourquoi nous ne pourrions déterminer BC quand même nos instruments seraient dix mille fois plus précis !

On pourrait songer à un autre moyen, et l’on y a songé en effet. La vitesse de la lumière n’est pas la même dans l’eau que dans l’air ; ne pourrait-on comparer les deux positions apparentes d’une étoile vue à travers une lunette tantôt pleine d’air, tantôt pleine d’eau ? Les résultats ont été négatifs ; les lois apparentes de la réflexion et de la réfraction ne sont pas altérées par le mouvement de la Terre. Ce phénomène comporte deux explications :

1o On pourrait supposer que l’éther n’est pas en repos, mais qu’il est entraîné par les corps en mouvement. Il ne serait pas étonnant alors que les phénomènes de réfraction ne fussent pas altérés par le mouvement de la Terre, puisque tout, prismes, lunettes et éther, est entraîné à la fois dans une même translation. Quant à l’aberration elle-même, elle s’expliquerait par une sorte de réfraction qui se produirait à la surface de séparation de l’éther en repos dans les espaces interstellaires et de l’éther entraîné par le mouvement de la Terre. C’est sur cette hypothèse (entraînement total de l’éther) qu’est fondée la théorie de Hertz sur l’Électrodynamique des corps en mouvement ;

2o Fresnel suppose, au contraire, que l’éther est en repos absolu dans le vide, en repos presque absolu dans l’air, quelle que soit la vitesse de cet air, et qu’il est partiellement entraîné par les milieux réfringents. Lorentz a donné à cette théorie une forme plus satisfaisante. Pour lui, l’éther est en repos, les électrons seuls sont en mouvement ; dans le vide, où l’éther entre seul en jeu, dans l’air, où il entre presque seul en jeu, l’entraînement est nul ou presque nul ; dans les milieux réfringents, où la perturbation est produite à la fois par les vibrations de l’éther et par celles des électrons mis en branle par l’agitation de l’éther, les ondulations se trouvent partiellement entraînées.

Pour décider entre les deux hypothèses, nous avons l’expérience de Fizeau, qui a comparé, par des mesures de franges d’interférence, la vitesse de la lumière dans l’air en repos ou en mouvement, ainsi que dans l’eau en repos ou en mouvement. Ces expériences ont confirmé l’hypothèse de l’entraînement partiel de Fresnel. Elles ont été reprises avec le même résultat par Michelson. La théorie de Hertz doit donc être rejetée.

VII. — Le Principe de Relativité.

Mais si l’éther n’est pas entraîné par le mouvement de la Terre, est-il possible de mettre en évidence, par le moyen des phénomènes optiques, la vitesse absolue de la Terre, ou plutôt sa vitesse par rapport à l’éther immobile ? L’expérience a répondu négativement, et cependant on a varié les procédés expérimentaux de toutes les manières possibles. Quel que soit le moyen qu’on emploie, on ne pourra jamais déceler que des vitesses relatives, j’entends les vitesses de certains corps matériels par rapport à d’autres corps matériels. En effet, si la source de lumière et les appareils d’observation sont sur la Terre et participent à son mouvement, les résultats expérimentaux ont toujours été les mêmes, quelle que soit l’orientation de l’appareil par rapport à la direction du mouvement orbital de la Terre. Si l’aberration astronomique se produit, c’est que la source, qui est une étoile, est en mouvement par rapport à l’observateur.

Les hypothèses faites jusqu’ici rendent parfaitement compte de ce résultat général, si l’on néglige les quantités très petites de l’ordre du carré de l’aberration. L’explication s’appuie sur la notion du temps local, que je vais chercher à faire comprendre, et qui a été introduite par Lorentz. Supposons deux observateurs, placés l’un en A, l’autre en B, et voulant régler leurs montres par le moyen de signaux optiques. Ils conviennent que B enverra un signal à A quand sa montre marquera une heure déterminée, et A remet sa montre à l’heure au moment où il aperçoit le signal. Si l’on opérait seulement