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HENRI POINCARÉ — LA DYNAMIQUE DE L’ÉLECTRON

Un mot d’explication d’abord. Nous avons dit que, pour une même charge, la masse totale d’un électron positif est beaucoup plus grande que celle d’un électron négatif. Et alors il est naturel de penser que cette différence s’explique parce que l’électron positif a, outre sa masse fictive, une masse réelle considérable ; ce qui nous ramènerait à la première hypothèse. Mais on peut admettre également que la masse réelle est nulle pour les uns comme pour les autres, mais que la masse fictive de l’électron positif est beaucoup plus grande, parce que cet électron est beaucoup plus petit. Je dis bien : beaucoup plus petit. Et, en effet, dans cette hypothèse, l’inertie est d’origine exclusivement électromagnétique ; elle se réduit à l’inertie de l’éther ; les électrons ne sont plus rien par eux-mêmes ; ils sont seulement des trous dans l’éther, et autour desquels s’agite l’éther ; plus ces trous seront petits, plus il y aura d’éther, plus par conséquent l’inertie de l’éther sera grande.

Comment décider entre ces deux hypothèses ? En opérant sur les rayons-canaux comme Kaufmann l’a fait sur les rayons β ? C’est impossible ; la vitesse de ces rayons est beaucoup trop faible. Chacun devra-t-il donc se décider d’après son tempérament, les conservateurs allant d’un côté et les amis du nouveau de l’autre ? Peut-être ; mais, pour bien faire comprendre les arguments des novateurs, il faut faire intervenir d’autres considérations.

VI. — L’Aberration.

On sait en quoi consiste le phénomène de l’aberration, découvert par Bradley. La lumière émanée d’une étoile met un certain temps pour parcourir une lunette ; pendant ce temps, la lunette, entraînée par le mouvement de la Terre, s’est déplacée. Si donc on braquait la lunette dans la direction vraie de l’étoile, l’image se formerait au point qu’occupait la croisée des fils du réticule quand la lumière a atteint l’objectif ; et cette croisée ne serait plus en ce même point quand la lumière atteindrait le plan du réticule. On serait donc conduit à dépointer la lunette pour ramener l’image sur la croisée des fils. Il en résulte que l’astronome ne pointera pas la lunette dans la direction de la vitesse absolue de la lumière, c’est-à-dire sur la position vraie de l’étoile, mais bien dans la direction de la vitesse relative de la lumière par rapport à la Terre, c’est-à-dire sur ce qu’on appelle la position apparente de l’étoile. Sur la figure 1, nous avons représenté en AB la vitesse absolue de la lumière (changée de sens, puisque l’observateur est en A et l’étoile à une grande distance dans la direction AB), en BD la vitesse de la Terre, en AD la vitesse relative de la lumière (changée de sens) ; l’astronome devrait pointer son instrument dans la direction AB : il le pointe dans la direction AD.

La grandeur de AB, c’est-à-dire la vitesse de la lumière, est connue ; on pourrait donc croire que nous avons le moyen de calculer BD, c’est-à-dire la vitesse absolue de la Terre. (Je m’expliquerai tout à l’heure sur ce mot absolu.) Il n’en est rien ; nous connaissons bien la position apparente de l’étoile, c’est-à-dire la direction AD que nous observons ; mais nous ne connaissons pas sa position vraie : nous ne connaissons AB qu’en grandeur et pas en direction.

Si donc la vitesse absolue de la Terre était rectiligne et uniforme, nous n’aurions jamais soupçonné le phénomène de l’aberration ; mais elle est variable ; elle se compose de deux parties : la vitesse du système solaire, qui est rectiligne et uniforme et que je représente en BC ; la vitesse de la Terre par
Fig. 1.
rapport au Soleil, qui est variable et que je représente en CD, de telle façon que la résultante soit représentée en BD.

Comme BC est constant, la direction AC est invariable ; elle définit la position apparente moyenne de l’étoile, tandis que la direction AD, qui est variable, définit la position apparente actuelle, qui décrit une petite ellipse autour de la position apparente moyenne, et c’est cette ellipse qu’on observe.

Nous connaissons CD en grandeur et en direction d’après les lois de Kepler et notre connaissance de la distance du Soleil ; nous connaissons AC et AD en direction et nous pouvons, par conséquent, construire le triangle ACD ; connaissant AC, nous aurons la vitesse de la lumière (représentée par AB), puisque, BC étant supposé très petit au regard de AB, AC diffère très peu de AB. La vitesse relative de la Terre par rapport au Soleil est seule intervenue.

Halte-là ! toutefois. Nous avons regardé AC comme égal à AB ; cela n’est pas rigoureux, cela n’est qu’approché ; poussons l’approximation un peu plus loin. Les dimensions de l’ellipse décrite pendant une année par la position apparente d’une étoile dépendent du rapport de CD, qui est connue, à la longueur AC ; l’observation nous fait donc connaître cette dernière longueur. Comparons les grands axes de l’ellipse pour les différentes étoiles : nous aurons pour chacune d’elles le moyen de