Page:Revue franco-americaine - volume 1 - juin 1895.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
75
REVUE FRANCO-AMÉRICAINE.

était visible qu’un étau de fer serrait sa gorge et que des liens enchaînaient chacun de ses membres. Ses mains, seules, continuaient à frissonner.

Et, comme je levais mon pistolet, lentement, toujours par malice, ses cheveux se dressèrent ainsi que des herbes. Je faillis éclater de rire. C’est donc un miracle possible ? Quelle drôlerie ! Cela me rappelait la chevelure d’un plongeur que j’avais vu, dans un café-concert, au fond d’un aquarium.

À la fin, j’eus pitié de lui. D’autant plus que ses yeux, quoique ne s’arrêtant pas de hurler d’épouvante, murmuraient peu à peu des choses très tristes. Les miens ne les avaient pas encore quittés. Et il me fallut faire, pour cela, un effort prodigieux. Dans la rupture, même, quelque chose se brisa. Quoi ? Oh ! mon dieu, mon dieu !

Je posai mon arme sur la cheminée. Un trousseau de clefs s’y trouvait. Le secrétaire était là, tout près. Je l’ouvris. Je ne regardais même pas derrière moi. À quoi bon m’inquiéter de ce mannequin ? Je fouillais. Je vidais les tiroirs.

Or, il se passa un phénomène étrange. Tout bruit cessa. Il a toujours du bruit, même dans le silence. Il n’y en eut plus. J’examinai la pendule. Mystère inexplicable, le balancier marchait et il n’y avait aucun bruit. Et il n’y en avait nulle part autour de nous.

Je me tournai vers l’homme, presque pour l’interroger. Le silence venait de lui !

Le silence venait de lui. Cela sortait en grosses bouffées, comme de la fumée qui emplit une chambre. D’abord ses mains ne tremblaient plus. Je m’approchai. Et j’entendis aussi que son cœur ne battait plus, son cœur de grosse cloche.

Je m’inclinai sur ses yeux ouverts. Le vertige me prit. Dans les prunelles creuses, j’apercevais un abîme de silence. Une rosée de sueur me glaça. J’avais senti que c’était le silence de la mort.

Ma folie date de là. Je me le dis alors : « Voilà que je suis fou. » Il était mort, tout seul, de lui-même. Je n’osais bouger. Mes yeux se renouaient aux siens. Puis le bruit de l’espace recommença. Je perçus le tic-tac de la pendule. Et surtout mon cœur se mit à retentir. C’était la grosse cloche du mort qui sonnait dans ma poitrine, à toute volée.

J’avais peur, formidablement peur. Et je reconnus que c’était sa peur à lui. Oui, inoccupée maintenant, elle passait en moi, et elle se manifestait par les mêmes symptômes. Mes mains tremblaient comme des petits oiseaux. Mes cheveux se dressaient comme une chevelure de plongeur. Et, au fond de mon être, quelque chose fut sur le point de se détraquer.

Sur le point seulement, car mon extraordinaire lucidité que décuplait déjà la folie, m’avertit du péril. D’un violent effort je remis les choses en place. Je n’eus plus peur.

Maître de moi, je me dis :

— Après tout, il n’est point prouvé qu’il soit mort, un simple évanouissement, peut-être.

Je tâtai son pouls. Sous mon doigt quelque chose s’agita. Mais n’était-ce pas le mien, ce qui palpite à l’extrémité de chacun de nos doigts ? Je ne pus le savoir. Et une réelle espérance m’envahit. Il y avait sur la toilette un flacon de sels et de l’eau de Cologne. Je lui fis respirer les sels et lui bassinai les tempes. Sa guérison m’eût causé beaucoup de plaisir.

Je ne doutais plus qu’il fut en vie, quoique rien ne l’indiquât. Mais son bras tomba,