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REVUE FRANCO-AMÉRICAINE.

Si le mari est indigne et mésuse du pouvoir qu’elle lui a reconnu par le mariage même, la loi est là : qu’elle s’en serve. Mais tant qu’elle reste mariée, il est de sa dignité même de fier à son mari le gouvernement de leurs intérêts communs. Je n’insiste pas : toutes les femmes pour qui le mariage est chose respectée seront de cet avis.

Nos sceptiques vont rire : le mariage respecté ! Où prenez-vous cela ? — Et les féministes, dans ce concert, tiendront une note qui n’est pas la moins aigüe. C’est que tout est là, en effet : tout est dans l’idée qu’ont les femmes du mariage et de la famille ; cette idée généralement est fausse, — et mauvaises, par conséquent, sont les mœurs qui en résultent. Le mot le plus typique, peut-être, à cet égard, a été dit récemment, par une féministe de marque, à une femme, d’ailleurs largement instruite, qui déclarait vouloir se borner à suivre l’éducation de ses enfants : indignée de ce « terre à terre, » la ligueuse s’écria : « Vous nous considérez donc comme un animal inférieur ! »

Les malheureuses en sont là : cette œuvre de psychologie délicate et savante, cette intensité d’amour attentif, que demande la mission noblement entendue d’élever les enfants, c’est le « terre à terre, » c’est l’œuvre d’un « animal inférieur » ; — elles en font fi !…

Hélas, mesdames, c’est de là que vient tout le mal. Si la notion vraie de la maternité, de l’œuvre de famille, était établie en cette société qui soufre, biens des maux en seraient chassés, pour les femmes comme pour les hommes. Si la femme qui donne sa parole pour un mariage savait comprendre la gravité de la décision qu’elle prend : si elle se rendait compte de la solidarité qu’elle accepte, — solidarité d’époux à épouse, de père et de mère à enfants, d’ascendants à descendants ; — si elle comprenait que désormais, quoi qu’il arrive, l’union qu’elle contracte laissera dans l’existence commune des traces que rien ne pourra détruire ; si elle voyait, en la mère qu’elle va être, le facteur le plus décisif dans la continuation de la famille ; si elle considérait, dans l’homme dont elle fait élection, celui qui sera le père, et en qui elle fera tout elle-même avec ses enfants, — cette femme-là aurait d’elle et de son rôle une opinion qui lui attirerait un tout autre respect que celui dont elle se contente.

Tout le mal, reconnaissons-le, vient non des lois, mais des mœurs. C’est à rétablir celles-ci dans le sens de la notion rationnelle d’hérédité et de sélection, c’est à développer une idée plus haute et plus vaste de la famille, que devrait s’attacher l’action législative : au lieu de cela, la loi s’apprête, — si on écoute M. Goirand, — à trouver très bien qu’une femme continue à donner au monde des enfants d’un homme à qui elle ne confierait pas son gain de chaque jour ! C’est du joli !

Je sais bien que, pour nous consoler, l’érudit Lacour nous a montré que nous marcherions par là sur les traces d’Olympe de Gouges, la femme-volcan. — Merci bien ! ces traces-là ne nous attirent pas. Femmes nous sommes, femmes nous voulons rester, pas volcans du tout, assez pénétrées de la tâche énorme qui nous incombe, dans la famille et dans la société, pour ne point nous aviser de souhaiter une invasion dans le domaine extérieur, qui est et doit rester le domaine de l’homme. Assez forte, asse décisive, se fait l’influence de l’âme qu’est la femme sur l’action réfléchie et raisonné que représente l’homme, — pour que celles qui la comprennent s’en contentent, et s’y consacrent toutes.

IL est vrai que nos amazones réclament pour la femme le droit de vivre isolée ; mais qui le lui conteste ? Pourvu qu’isolée elle reste femme, occupée de la famille sociale dans