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reuse bergère s’obstine à lui disputer pour attirer sur sa tête la vengeance du tyran. Polémas, pour terminer le différend, les fait lier ensemble devant les piques du premier rang de ses soldats, et ordonne l’assaut. Ils sont perdus : mais l’officier qui commande la troupe commise à leur garde, est précisément ce jaloux dont les calomnies ont causé les maux des deux amants ; touché de repentir, il coupe leurs liens et les sauve. — Telle est la donnée primitive sur laquelle messire Honoré d’Urfé a bâti cinq monstrueux volumes de 1 200 à 1 400 pages. Imitant la régularité des formes scéniques, son plan était de faire de l’Astrée une vaste tragi-comédie, dont les cinq tomes, subdivisés en chapitres, figureraient les cinq actes et les scènes des ouvrages de théâtre. Il mourut à la peine, laissant des matériaux que recueillit le Piémontais Baro, l’un de ses plus chers amis, matériaux qui complétèrent l’Iliade du genre pastoral. On y voyait Céladon, qui, résolu de mettre fin à son déplorable sort, est sur le point de se livrer à des monstres qui environnent une fontaine nommée Vérité d’Amour ; Astrée se précipite entre le berger et les animaux enchantés. L’Amour, touché de ce rare dévouement, tourne la fureur des licornes contre les lions, et les abords de la fontaine sont libres. Céladon contemple dans les ondes magiques son image près de celle d’Astrée, et la félicité qu’ils ont si bien gagnée récompense les longs travaux de ces fidèles amants. — Si pour juger cette gigantesque production qui pivote tout entière sur un malentendu facile à détruire en quatre mots, on s’arrête au point de vue de la vraisemblance historique et de la reproduction exacte des passions humaines, on se demandera sans doute quelle monomanie inconcevable put engouer deux ou même trois générations successives, les plus spirituelles peut-être qui aient jamais brillé en France. Cet étonnement cessera si l’on considère la situation intellectuelle qui l’enfanta et sur laquelle elle réagit si puissamment à son tour. Les romans de chevalerie étaient morts avec Pierre du Terrail, le dernier des chevaliers ; l’invasion italienne de l’école de Boccace expirait avec le XIVe siècle, quand un gentilhomme du Forez, doué d’une imagination ingénieuse et romanesque, s’avisa de développer, dans un immense roman, la nouvelle métaphysique amoureuse, reproduisant dans l’un de ses personnages l’amant parfait, le phénix si rarement rencontré par les précieuses ; dans l’héroïne enfin, le type le plus accompli de l’amante.

On a deux critiques de ce livre : l’une sous le titre du Berger extravagant, 3 vol. in-12, 1627 ; l’autre sous celui de l’Anti-Roman, 2 vol. in-8, 1633. — Il existe aussi une suite par Borstel, en cinq ou six parties, 2 vol. in-12, 1626.

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