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père transporta son domicile à Turin, et Pellico resta à Milan, où il faisait l’éducation des enfants du comte Porro Lambertini, lorsque, le 13 octobre 1820, il fut arrêté à Milan et enfermé à Sainte-Marguerite. Accusé d’avoir pris part, comme complice et comme confident, à quelque complot libéral, il eut à subir de longs interrogatoires. Sachant ce qu’on peut attendre d’un pouvoir soupçonneux, il aima mieux s’exposer à tout que de compromettre ses amis par quelque parole mal interprétée. On lui fit un crime de son silence ! Quatre mois après, le 19 février 1821, il fut transporté de Sainte-Marguerite aux plombs de Venise, et passa une année entière dans cet affreux séjour, où il eut à souffrir tout ce que la captivité a de plus cruel. Pendant ce temps on instruisait son procès. Le 22 février 1822, Pellico et son ami Maroncelli, furent amenés avec le plus grand appareil sur la place Saint-Marc, et là, en présence du peuple assemblé, ils entendirent leur arrêt : ils étaient condamnés à mort. Leur peine était commuée, pour Pellico en quinze ans, pour Maroncelli en vingt ans de réclusion au fort du Spielberg, où ils furent plongés séparément dans des cachots souterrains et obscurs. C’est là que ces deux malheureux jeunes gens virent se consumer les plus belles années de leur vie, morts à la société, à leurs amis, à leurs parents, en proie à toutes les souffrances physiques et morales, sans nouvelles de leur famille, sans moyen de correspondance, sans livres, sans papier, privés de tout ce qui peut faire supporter l’esclavage. Plusieurs fois on leur fit espérer la grâce de l’empereur, et cet espoir, si souvent trompé, ne servait qu’à leur faire plus cruellement sentir le poids de leurs fers. Enfin, le 26 juillet 1830, on envoya de Vienne l’acte de leur mise en liberté, et le 1er août ils furent rendus à la lumière du jour, pâles, maigres et flétris, semblables à deux spectres qui sortaient de leurs tombeaux.

Quels durent être, après tant de tourments inouïs, les sentiments des deux victimes à l’égard de leurs persécuteurs ? Si jamais il est permis à l’homme de nourrir dans son cœur haine et vengeance contre ses semblables, qui plus qu’eux en avait le droit ? qui, plus que Pellico, aurait pu justement répandre dans ses écrits le fiel et l’amertume ? Ordinairement ceux qui écrivent leurs mémoires, ayant en vue, soit de se justifier de quelque imputation, soit de jeter de l’intérêt sur les circonstances où ils se sont trouvés, s’étudient à présenter, aux dépens d’autrui, les événements sous un jour qui leur soit favorable. Ici, au contraire, point de récrimination, point d’attaques, point de but personnel. « Ce n’est point pour parler de moi, dit l’auteur dans sa préface, que j’ai publié ces Mémoires, mais c’est dans l’intention de donner courage aux malheureux, en exposant les maux que j’ai soufferts et les con-