Page:Revue des Romans (1839).djvu/595

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


des réflexions badines ou solides, et des peintures de l’amour chez les différents peuples et dans diverses conditions.

Séparateur

PRÉVOST-D’EXILES (l’abbé),

né à Hesdin en 1697, mort le 23 novembre sur la route de Vincennes, où il fut surpris d’une attaque d’apoplexie ; on le crut mort, et pour s’assurer de la cause de cette mort si subite, on ouvrit son corps ; il revint à la vie sous le scalpel du chirurgien ; mais les organes de la vie ayant été endommagés, il périt un moment après.


HISTOIRE DE M. CLÉVELAND, FILS NATUREL DE CROMWELL, ou le Philosophe anglais, 4 vol. in-12, 1732. — On peut reprocher à l’abbé Prévost l’abus qu’il fait de son imagination, et le défaut de ne savoir ni borner son plan, ni régler sa marche. Les Anglais ont quelquefois mieux connu que nous la composition des romans, dont plusieurs forment chez eux un tout composé de parties distinctes, et fixent le lecteur sur un objet dont ils ne le détournent jamais. L’abbé Prévost était bien éloigné de cette méthode ; il entasse événements sur événements, et vous fait perdre de vue les personnages qui vous intéressaient, pour en introduire de nouveaux. Les premières parties de Cléveland sont très-attachantes, et il n’est personne qui n’ait frémi en suivant lord Axminster dans la caverne de Rumney-Hole. Les scènes les plus extraordinaires sont retracées dans ce roman ; le héros vit dans des souterrains, seul, jusqu’à l’âge de seize ans ; il s’y égare un jour ; dans l’impossibilité de retrouver son chemin, il se couche par terre résolu à mourir. Il aperçoit un homme pâle, les habits en désordre ; c’est milord Axminster, qui, pour se soustraire à la tyrannie de Cromwell, s’est réfugié comme lui dans ces vastes cavernes. Il le conduit à sa famille, où il voit Fanny, fille de milord Axminster. La peinture de l’amour qui naît dans deux jeunes cœurs, tout à fait étrangers au monde, est pleine de naturel et de vérité. Nous ne suivrons point ces amants au milieu des sauvages, à travers les périls qu’ils affrontent ; nous nous contenterons de faire remarquer que toutes ces aventures sont remplies d’intérêt, et que la lecture en est attachante, qu’il est difficile de quitter le livre une fois qu’on l’a commencé. Les faits et les caractères, dans tout le premier volume, sont d’une imagination dramatique et d’une touche sombre et vigoureuse. L’épisode de l’île Sainte-Hélène commence par distraire le lecteur, et finit par s’en emparer, tant le morceau est original et intéressant ! Enfin, l’auteur vous promène d’un bout du monde à l’autre, et les longues réflexions, les aventures incroyables, refroidissent la curiosité, qui d’abord était vivement excitée.