Page:Revue des Romans (1839).djvu/585

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas par système de dénigrement. Il commençait ordinairement le chapitre sans savoir souvent comment il le finirait, mais sans jamais cependant être embarrassé pour le finir, car il était doué d’une étonnante étendue d’imagination. Le premier travers qui se présentait à son esprit, il le peignait avec vérité. « Vous qui le connaissez, disait à un de ses amis un respectable ecclésiastique, défendez-lui donc de mettre en scène les prêtres dans ses romans. — Je m’en garderai bien, répondit celui à qui il s’adressait, ce serait l’inviter à dîner et ne lui donner ni pain ni vin : les cafards sont ceux qui lui ont fourni ses meilleurs chapitres, il faut lui laisser son allure. » On a reproché aussi à Diderot ses gravelures, sa hardiesse contre le clergé, et surtout son roman de la Religieuse. Pigault le justifiait de ce reproche en disant que Diderot n’ayant rien à se reprocher il lui était permis de tout écrire. On peut en dire autant de Pigault.

Pigault avait la prétention de croire ses romans très-moraux, et il le disait ouvertement, ce qui fit rire une fois aux éclats un de ses amis. « Je soutiens, dit Pigault, que mes romans sont moraux, et je le prouve : dans aucun le vice ni le crime ne triomphent ; les fripons et les scélérats n’y meurent jamais naturellement, ils sont toujours envoyés aux galères ou pendus. » Et cela est vrai.

À son retour de l’armée dans la Vendée, où il était chef de remonte à Saumur, il fut obligé de prendre les armes comme commandant, et fut nommé adjudant général dans les vingt-quatre heures, pour une belle position qu’il avait prise. Il abandonna la carrière militaire à l’époque où il n’y avait plus guère que des fripons qui servissent la république.

On lui proposa alors de donner une nouvelle édition du roman de Clarisse, en en retranchant les longueurs : « J’aimerais mieux me couper le bras, répondit-il, que de mutiler ce chef-d’œuvre. » Vers la fin de sa vie on lui conseillait d’écrire ses confessions, qui devaient être fort intéressantes et sans inconvénient, attendu que la plupart des personnes qu’il avait connues étaient mortes. « Si elles ne sont plus, dit-il, elles ont des descendants, et je regarde comme un malhonnête homme celui qui par amour-propre divulgue le secret de l’intimité. »

Le premier roman publié par Pigault est celui qui a pour titre l’Enfant du Carnaval ; c’est un roman d’une gaieté folle dans sa première partie, et où dans la seconde on stigmatise énergiquement des turpitudes et des crimes encore tout récents ; ce roman n’a pas du moins de quatorze éditions. — Pigault donna ensuite les Barons de Felsheim, qui parurent d’abord en deux volumes, et dont on ne vendit pas cent exemplaires. Cependant, Crapelet père et Barba,