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plusieurs années officier de cavalerie ; rentré dans le monde fashionable, auquel il appartient par sa position de comte et par sa fortune, il y apporte tout le laisser-aller de ses habitudes militaires ; il fait en plein dîner des compliments à sa femme sur la beauté de sa jambe, la compromet en public avec des maîtresses de duc et pair, la confie aux mains d’un élégant qui fréquente sa maison, et pour dernier ridicule sollicite une place à la cour. On devine que M. de Chaverny n’est pas aimé de sa femme. Quand il y a une femme jolie et coquette au logis conjugal, l’indifférence du mari a bientôt amené la foule des adorateurs. Ici, c’est M. de Châteaufort, jeune officier portant sabre innocent au fourreau, aimant à savourer la fumée du cigare, les succulents dîners et les bonnes fortunes, quand il s’en rencontre. Là c’est un jeune secrétaire d’ambassade, pas ridicule pourtant, pas trop possédé de l’envie de narrer ses voyages, possédant d’heureuses qualités, plaisant aux femmes : c’est à plus d’un titre le Benjamin de la double méprise. Nous ne dirons rien de Julie de Chaverny, de peur d’en donner une idée trop incomplète. Enfin, si vous avez rencontré en votre vie un de ces vieux officiers de quarante-cinq à cinquante ans, fumeur, casanier, insoucieux de tous les agréments de la vie, en exceptant toutefois le chapitre de la table, vous aurez le portrait du capitaine Prieur. Rien ne manque à tous ces caractères ; ils sont tracés et enluminés avec la conscience d’un écrivain qui soigne ses œuvres comme ses enfants. — On pourrait dire en deux mots l’histoire de Julie de Chaverny ; tout son malheur naît d’une double méprise. Lorsque l’indifférence de son mari l’a livrée à elle-même, qu’elle s’exagère ses torts, en disant qu’elle aurait dû mieux consulter son cœur avant de se marier, elle retrouve l’ami de son enfance, et avec lui le souvenir de ses premières et naïves illusions. C’est à ce souvenir que son cœur cherche à rattacher ses regrets présents et sa tardive espérance. Peu à peu, ne tenant plus compte de l’intervalle de tant d’années ni du changement qui a dû s’opérer dans le caractère du jeune diplomate, elle se reproche d’avoir elle-même troublé la vie de cet ami d’enfance, dont elle se croit toujours aimée avec la poésie du premier amour. Ce n’est que lorsqu’elle est coupable qu’elle reconnaît combien elle s’est abusée. Darcy n’a cherché qu’une bonne fortune ; il juge sa conquête de peu de valeur, puisqu’elle lui a coûté si peu, et la traite en conséquence. Son amour-propre lui défend même de jouer le sentiment avec Julie, de peur de paraître dupe, et il se montre plus froid encore qu’il ne l’est réellement. Julie alors se croit méprisée, et se méprise elle-même ; mais dans cette âme qui n’était pas faite pour le vice de