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carreau que touche en dedans le bras de celle qu’il aime, il lui semble respirer des torrents de feu ; mais elle, elle n’a rien senti, rien aperçu. Quel symbole plus parfait de leurs destinées, et de tant de destinées plus ou moins pareilles ! Une simple glace entre eux deux : d’un côté le feu brûlant, de l’autre l’affectueuse indifférence ! Ainsi encore, quand, le jour de la fête de Valérie, le comte étant près de la gronder, Gustave envoie un jeune enfant lui souhaiter la fête et rappelle ainsi au comte de ne pas l’affliger ce jour-là, Valérie est touchée, elle embrasse l’enfant et le renvoie à Gustave, qui l’embrasse sur la joue, au même endroit, et qui y trouve une larme : « Oui, Valérie, s’écrie-t-il en lui-même, tu ne peux m’envoyer, me donner que des larmes. » Cette même idée de séparation et de deuil, cet anneau nuptial qu’il sent au doigt de Valérie dès qu’il lui tient la main, reparaît sous une nouvelle forme à chaque scène touchante. Lorsque Gustave s’en est allé seul avec sa blessure dans les montagnes, quand, durant les mois d’automne qui précèdent sa mort, il s’enivre éperdument de sa rêverie et des brises sauvages, il se rapproche beaucoup du Werther de Gœthe ; mais il s’en distingue à temps et demeure lui-même lorsqu’il rejette l’idée de se frapper, lorsqu’il reste pieux, innocent et pur jusque dans son égarement, rendant grâce jusque dans son désespoir. En un mot, Gustave réussit véritablement à laisser dans l’âme du lecteur, comme dans celle de Valérie, ce qu’il ambitionne le plus, quelques larmes seulement, et un de ces souvenirs qui durent toute la vie, et qui honorent ceux qui sont capables de les avoir.

Vers l’année 1801, Mme Krüdner vint à Paris, où elle se mit à revoir sérieusement l’esquisse de son roman ; elle avait l’ambition, malgré son origine étrangère, de l’élever au rang des productions classiques de la France, et elle ne négligea ni les conseils éclairés, ni les collaborations utiles. Valérie fut un peu l’ouvrage de tous les amis de l’auteur, et à cette époque, elle en avait beaucoup, sans oublier le célèbre Garat, avec lequel sa liaison fut notoire. — Valérie est un roman fort remarquable, dont le succès fut prodigieux en France et en Allemagne, dans la haute société. — On trouve dans l’interminable fatras intitulé : Mélanges militaires, littéraires et sentimentaires du prince de Ligne (tom. XXIX), une suite de Valérie qui n’est qu’une plaisanterie de cet homme d’esprit. La princesse Serge Galitzin, dit-il, n’ayant pu souper chez lui, tant la lecture de Valérie l’avait mise en larmes, il voulut lever cet obstacle pour le lendemain, en lui envoyant une fin rassurante, où Gustave ressuscite ; c’est une parodie, dont le sel fort léger s’est depuis longtemps évaporé.

fin du tome premier