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dont la création a épuisé la gigantesque pensée d’Hoffmann, et sur laquelle il a rendu son dernier soupir.

Après avoir cherché à donner une idée du genre de talent d’Hoffmann, nous allons essayer d’analyser avec un peu plus d’étendue deux des plus remarquables productions de cet auteur.

LE SABLIER. — Nathaniel, le héros de ce conte, est un jeune homme d’un tempérament fantasque, d’une tournure d’esprit poétique et métaphysique à l’excès, avec une imagination nerveuse, plus particulièrement soumise à l’influence de l’imagination. Il raconte les événements de son enfance dans une lettre adressée à Lothaire, son ami, frère de Clara sa fiancée. Son père, honnête horloger, avait l’habitude d’envoyer coucher ses enfants à certains jours plutôt qu’à l’ordinaire, et la mère ajoutait chaque fois à cet ordre : « Allez au lit, voici le sablier qui vient. » Nathaniel, en effet, observa qu’alors, après leur retraite, on entendait frapper à la porte ; des pas lourds et traînants retentissaient sur l’escalier ; quelqu’un entrait chez son père, et quelquefois une vapeur désagréable et suffocante se répandait dans la maison. C’était donc le sablier : mais que voulait-il et que venait-il faire ? Aux questions de Nathaniel la bonne répondit par un conte de nourrice, que le sablier était un méchant homme qui jetait du sable dans les yeux des petits enfants qui ne voulaient pas aller se coucher. Cette réponse redoubla sa frayeur, mais éveilla sa curiosité. Il résolut enfin de se cacher dans la chambre de son père, et d’y attendre l’arrivée du visiteur nocturne ; il exécuta ce projet, et reconnut dans le sablier l’homme de loi Copelius qu’il avait vu souvent avec son père. Sa masse informe s’appuyait sur des jambes torses ; il avait le nez gros, les oreilles énormes, tous les traits démesurés, et l’aspect farouche. Copelius fut reçu par le père de Nathaniel avec les démonstrations d’un humble respect ; ils découvrirent un fourneau secret, l’allumèrent, et commencèrent bientôt des opérations chimiques d’une nature étrange et mystérieuse, qui expliquait cette vapeur dont la maison avait été plusieurs fois remplie. Les gestes des opérateurs devinrent frénétiques ; leurs traits prirent une expression d’égarement et de fureur à mesure qu’ils avançaient dans leurs travaux ; Nathaniel, cédant à la terreur, jeta un cri et sortit de sa retraite. L’alchimiste, car Copelius en était un, eut à peine découvert le petit espion, qu’il voulut lui jeter des cendres ardentes dans les yeux. L’imagination de Nathaniel fut tellement troublée de cette scène, qu’il fut attaqué d’une fièvre nerveuse, pendant laquelle l’horrible figure de Copelius était sans cesse devant ses yeux comme un spectre menaçant. Après un long intervalle, et quand Nathaniel fut rétabli, les visites nocturnes de