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l’homme de génie ; dans la Vie d’artiste, c’est encore le pouvoir singulier de la musique : Hoffmann y montre une âme désordonnée, embarrassée et malheureuse d’un talent supérieur, obéissant à la médiocrité pour se dispenser des soins matériels de la vie, et se condamnant à des travaux obscurs pour échapper aux louanges et aux triomphes prostitués journellement par l’intrigue ; dans le Violon de Crémone, c’est la liaison et la sympathie mystérieuse qui existent entre la vie d’une jeune fille et une espèce de violon magique ; dans le Bonheur au jeu, le hasard et ce que sa faveur a de fatal ; dans le Choix d’une fiancée, un personnage mystérieux, qui tient du diable et du Juif errant ; dans le Spectre fiancé, le magnétisme ; dans le Pot d’or et dans Melle de Scudéry, l’horreur profonde qu’inspirent les grands crimes ; dans Marino Faliero, c’est tout ce qu’il y a d’aventureux dans les passions amoureuses.

Ce n’est pas que la fantaisie seule dirige et promène au hasard le pinceau brillant d’Hoffmann ; il y a quelque chose de plus dans ses meilleurs écrits. Le sentiment des arts est chez lui tout-puissant, plein d’éloquence, d’énergie, mais aussi de désespoir. Il voit la limite que la peinture et la musique ne peuvent franchir, et il s’irrite contre ces obstacles ; il voudrait leur communiquer la puissance de reproduire tout ce que l’âme désire. Il prend en pitié ces moyens mécaniques, instruments nécessaires des arts, et qui opposent des bornes matérielles à la conquête qu’il voudrait opérer. Convaincu enfin de l’inutilité de ses efforts, de l’impossibilité que l’artiste trouve à réaliser toute sa pensée, à refléter toute la nature, à redire tous les sentiments de l’homme et toutes ses émotions, il exprime d’une manière aussi forte que bizarre la douleur que cette puissance incurable lui cause. Ici, un vieux peintre s’assied devant un canevas vide que son imagination seule peuple de figures admirables ; là, Gluck exécute son Iphigénie en Tauride, après avoir placé sur son piano un cahier blanc, dont il retourne les feuillets comme s’il y lisait la partition de l’ouvrage. — Dans L’Église des jésuites, le principal personnage est un jeune peintre allemand qui a longtemps cherché en vain la route que son talent devait suivre. Un jour qu’il erre dans les bois, une jeune femme, d’une figure céleste, lui apparaît et se dérobe aussitôt à sa vue. Voilà son idéal ! son génie naît, s’élève, se déploie, il produit des chefs-d’œuvre. Les traits angéliques qui se sont fixés dans sa pensée se reproduisent dans tous ses ouvrages pour les embellir ; on reconnaît un nouveau talent, et le grand maître fait école. Mais il arrive qu’au milieu d’un incendie, Berthod retrouve et sauve la femme même qui lui est apparue, et que son imagination avait transformée en vision céleste. L’amour le plus tendre