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que nous gardons, en dépit de la raison, de penchants crédules, de dispositions peureuses, de sentiments superstitieux, le frissonnement involontaire que nous éprouvons à traverser le soir une forêt, un cimetière, à visiter des ruines, la rêverie où nous jette pendant la nuit le son lointain d’une musique ou l’aspect d’un lac tranquille, tout ce qui est du domaine de l’imagination, tout cela est le domaine d’Hoffmann. — Vous souvenez-vous de quelque soirée passée au coin du feu, nous ne disons pas dans quelque vieux château, ou dans quelque auberge déserte ; cela sent l’homme qui amène son merveilleux et qui montre la corde avant de faire jouer sa lanterne magique, nous disons une soirée passée dans votre chambre au quatrième étage, rue Saint-Jacques ou rue Saint-Denis, où vous voudrez ? vous êtes assis dans un grand fauteuil, les pieds sur les chenets ; près de vous votre table de travail, sur un tabouret votre chien ou votre chat, vos chaises rangées à leur place ordinaire, vos rideaux fermés ; dans l’alcôve votre lit déjà prêt et la couverture faite ; dans les chambres voisines, vous entendez aller et venir les gens de la maison, dans la rue rouler les voitures ; partout enfin vous êtes entouré de choses et de bruits qui vous rappellent la vie de famille, le monde, la civilisation. Où la fantaisie pourrait-elle trouver à se nicher ? où va-t-elle se placer ? Où ? sous votre bonnet de coton même que vous venez d’enfoncer sur vos deux oreilles en vous mettant au lit. C’est là qu’elle s’établit pour troubler vos idées et fasciner vos regards. Voyez, voici déjà dans votre feu des images de toutes sortes de choses, des maisons, des châteaux, des clochers étincelants qui grandissent, grandissent à vue d’œil, puis des pétillements singuliers : vous levez les yeux au plafond ; quels bizarres reflets ou plutôt quelles figures étranges y flottent entrelacées ! Comme tout tremble et s’agite dans votre chambre ; et là-bas, dans ce coin, près de ce meuble qu’on ne dérange jamais, il y a là, est-ce une erreur, une illusion ? non, il y a quelque chose qui brille : ce sont comme deux yeux ! ils vous regardent ! chut. Vous entendez marcher, c’est un bruit de pas ! … nous vous laissons sauter à bas de votre lit, si vous êtes hardi, ou vous cacher la tête sous la couverture, si vous êtes peureux : qu’il nous suffise de savoir que ces illusions et ces terreurs de la nuit, à côté d’une scène de ménage, c’est là un des genres de récits d’Hoffmann.

Le domaine d’Hoffmann, c’est la fantaisie et l’imagination ; toutes les idées où la raison et la réflexion n’ont point de part, sont de son domaine. Ainsi, dans le Majorat, l’intérêt vient d’une apparition surnaturelle ; dans le Sanctus, le sujet, c’est la puissance de la musique et de l’enthousiasme indéfinissable qu’elle inspire ; dans Salvator Rosa, l’imagination vive et hardie de