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ses jours, et sa veuve recueillit un héritage immense. Inaccessible aux remords, Élisabeth ne fut sensible qu’au plaisir de se trouver puissamment riche et entièrement maîtresse d’elle-même. L’Angleterre lui parut un théâtre trop circonscrit ; voulant étaler son luxe aux yeux de toute l’Europe, elle fit construire un yacht de la plus grande magnificence, s’embarqua à la vue d’une foule innombrable, et longea les côtes de France sur cette frêle embarcation. Elle entra dans la Méditerranée par le détroit de Gibraltar. Partout elle donna et reçut des fêtes superbes, et s’arrêta dans les îles les plus remarquables. Arrivée à Rome, le pape lui fit rendre toutes sortes d’honneurs ; les cardinaux se montrèrent empressés de lui plaire et lui rendirent le séjour de Rome très-agréable. Elle faillit pourtant trouver dans cette ville l’écueil de son bonheur : un aventurier aussi adroit que spirituel, qui se fit passer près d’elle pour le prince d’Albanie, eut l’art de s’en faire aimer éperdument. Elle était sur le point de lui donner sa main et sa fortune, lorsque cet aventurier, nommé Wortu, fut arrêté comme escroc, et se tua dans sa prison pour échapper au châtiment qu’il avait mérité. Un danger plus réel encore vint succéder à ce fâcheux événement : la duchesse apprend que les héritiers du duc de Kingston l’attaquent comme coupable de bigamie, et demandent que le mariage et le testament du feu duc soient cassés ; très-effrayée, elle court chez son banquier, le force, le pistolet à la main, à lui donner des fonds, et part pour Londres. Déjà on commençait les informations ; la validité du premier mariage fut reconnue, et l’on prétendit que la cour ecclésiastique qui l’avait cassé n’était pas compétente. Jamais procès n’avait fait autant de bruit que celui-là, et ne fut jugé avec plus de solennité. La salle de Westminster était remplie d’une foule immense. La famille royale, les ministres étrangers et les membres de la chambre des communes assistèrent au jugement. La duchesse, vêtue de noir, et qui s’était fait saigner le matin, pour que sa pâleur intéressât ses juges, parut, accompagnée de deux femmes de chambre, d’un secrétaire et de six avocats. Elle se défendit elle-même avec éloquence ; mais elle n’en fut pas moins déclarée coupable de bigamie par la majorité des pairs, qui étaient au nombre de deux cents. La loi la condamnait à avoir un fer rouge appliqué sur la main droite ; mais on fit valoir en sa faveur un ancien privilége qui en exempte la pairie. Ce qu’il y a de bizarre dans ce jugement, c’est qu’en cassant le second mariage de la duchesse de Kingston, le testament du duc fut maintenu comme étant indépendant de son mariage ; et la comtesse de Bristol conserva les biens immenses qu’avait possédés la duchesse. Elle se disposait à quitter l’Angleterre, lorsqu’elle apprend que des ordres sont donnés pour la