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ARLINCOURT.

social tout entier. Mais on sent que M. d’Arlincourt n’est pas là sur son terrain ; sa plaisanterie est pesante, son ironie amère ; d’autres écrivains nous ont habitués à un sarcasme plus léger, moins sérieux, et tout à la fois moins désolant et plus convenable à la nature des choses. On en jugera par quelques citations. Au sortir d’une scène imposante, la dame du marais est assaillie par une famille d’écureuils qui bondit sous ses pas, par un faucon mal appris qui lui enlève son châle, par une chèvre indocile qui déchire sa robe, et le page d’Éral s’écrie : « Une chèvre, un faucon, des écureuils, êtres moins difficiles à mettre en harmonie que villageois, prêtres et princes. » Plus loin, Alamède raille indignement son bienfaiteur, insulte le grand maître du palais, brave sa trop indulgente souveraine, et salue avec un air de protection ridicule les grands et les dames de la cour, « comme avec deux doigts levés, bénédiction de clôture, un saint prélat vide une église. » Un accident imprévu précipite Ipsiboé de son char ; écoutez son infortune : « La mante qui lui servait de robe s’est entièrement séparée d’elle ; ses bras, ses épaules, sa gorge, sont nus… Elle se relève en blanc corset, en jupe courte… Bientôt, ressaisissant sa longue mante, elle en rejette une partie au-dessus de sa tête, en forme de capuchon, et la nymphe au cotillon court s’offre maintenant en vieux moine aux yeux des spectateurs ébahis. » Tout est à peu près de cette force. — La pensée morale que l’on a cherché à développer dans ce livre, c’est que le bonheur n’est point l’apanage des grandeurs et des dignités, c’est qu’il habite plutôt la chaumière du villageois que le palais des souverains.

L’ÉTRANGÈRE, 2 vol. in-8, 1825. — On sait que Philippe-Auguste répudia sa femme Engelburge pour épouser la belle Agnès de Méranie, princesse du sang de Charlemagne ; que sur les plaintes du roi de Danemark, le pape Innocent III cassa son mariage, et que Philippe-Auguste fut contraint de quitter Agnès de Méranie qu’il aimait, pour reprendre cette Engelburge qu’il haïssait de tout son cœur. Tel est le fait historique sur lequel M. d’Arlincourt a fondé le roman de l’Étrangère. — Toute l’action est renfermée dans un espace assez étroit, sur les bords d’un grand lac de l’ancien comté de Nantes. Au commencement du XIIIe siècle, le jeune comte Arthur de Ravenstel sort pour la première fois de son château où il avait été soigneusement renfermé sous la direction d’un précepteur nommé Olburge, pour aller rendre visite au sire de Montolin, son tuteur. Le premier objet qui frappe ses regards est le fort de Karency, où Agnès de Méranie, veuve avant la mort de son époux, regrette son roi et peut-être encore plus la couronne. Parmi les embarcations qui sillonnaient les eaux du lac, Arthur aperçoit un simple bateau où il découvre une de ces figures qui