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est une victime de la violence la plus féroce, et le personnage le plus intéressant du roman : douce, timide, réservée, elle a néanmoins dans l’occasion la fierté et la résignation convenable à l’innocence et au malheur, et l’indignation et la tendresse maternelle lui inspirent une éloquence touchante dans sa dernière entrevue avec le père d’Alphonse. — Ce n’est pas dans l’invention et dans la disposition des événements, en un mot, dans le plan de ce roman, que brille le talent de Mme de Genlis ; c’est dans les portraits et les caractères ; elle a le talent de peindre les mœurs dans les aventures de ses personnages, dans les conversations fréquentes qu’elle suppose entre eux, enfin dans les réflexions multipliées qu’elle fait elle-même. Mme de Genlis est rarement heureuse dans la peinture plaisante et ironique des mœurs, et n’a pas un talent supérieur pour l’invention des faits, pour le récit, ni même pour le dialogue ; mais elle en a un très-réel pour observer et exprimer ses observations, qui, tantôt fines, tantôt communes, tantôt justes et vraies, tantôt fausses ou sujettes à contestation, sont toujours rendues d’une manière piquante, et renfermées dans un heureux tour de phrase.

LA FEUILLE DES GENS DU MONDE, ou le Journal imaginaire, in-8, 1812. — Le Journal imaginaire paraît être un vieux fonds de portefeuille de l’auteur, composé de quelques nouvelles qui ne sont pas toutes achevées, de longs fragments d’un poëme en prose, de vers de société, d’énigmes, de charades, et de morceaux détachés sur la littérature, la morale, l’éducation, les arts libéraux et industriels, etc., etc. Parmi les nouvelles, sorte de composition où Mme de Genlis s’est illustrée, et dont Mlle de Clermont est le chef-d’œuvre, on distingue le Tombeau d’Amestris, conte persan qui a pour but de prouver que nul homme n’est parfaitement heureux. Un autre conte, l’Histoire d’Aglaüs, est pris dans la mythologie grecque, et c’est Élien qui a fourni la principale fiction : il est question de gens qui rajeunissent par degré en repassant par tous les âges de la vie qu’ils ont laissés derrière eux ; qui de la vieillesse reviennent à l’âge mûr, puis à la jeunesse, puis à l’adolescence et à l’enfance, après laquelle ils trouvent la mort et rentrent dans le néant. Le style de cette nouvelle a beaucoup d’élégance et d’éclat ; il est teint, pour ainsi dire, des plus brillantes couleurs de la mythologie. La nouvelle intitulée Célestine n’est tirée ni de la féerie ni de la fable, mais de la vie des saints solitaires du désert ; elle est bien plus extraordinaire que toutes les autres. On est vraiment embarrassé pour donner une idée de cette naïve et pudique histoire ; il y a de quoi rougir dix fois en la racontant. Un homme perd sa femme au moment où elle vient d’accoucher d’une fille, et pour se consoler il se réfugie dans un couvent de la