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y retrouve aussi de ces traditions antiques que plusieurs nations ont rapportées à leur manière : l’histoire de Phèdre et celle de Circé sont très-aisées à reconnaître. Plusieurs endroits ressemblent à des traits historiques des livres juifs. Cette aventure de Joseph, la plus touchante peut-être que l’antiquité nous ait transmise, cet emblème de l’envie, qui anime des frères contre un frère, se retrouve aussi en partie dans les contes arabes, mais d’une manière bien inférieure à celle de l’ouvrage hébreu. » Un passage de Massoudi a accrédité l’opinion que ces histoires remontent au IVe siècle de l’hégire : on y voit figurer l’empereur Schah-Kiar, le vizir et les deux filles de ce ministre bien digne d’un tel maître, Chehezad et Dinarzad. Ce sont précisément, à un léger changement d’orthographe près, les noms des personnages du premier conte des Mille et une Nuits, qui sert de lien à toutes les autres aventures. Ce qu’il y a de très-remarquable, c’est que cette première histoire a fourni évidemment à l’Arioste le sujet de son charmant épisode d’Astolphe et de Joconde, si ingénieusement adapté au goût français par notre la Fontaine. — Schah-Kiar, roi de Perse, et son père Schah-Zenan, roi de Samarcande ou de Tartarie, ayant acquis la preuve palpable de l’infidélité de leurs épouses, prennent pour se consoler le parti de courir le monde jusqu’à ce qu’ils aient trouvé un époux encore plus infortuné qu’eux. Le hasard leur fait bientôt rencontrer une femme d’une beauté ravissante gardée par un génie, dans une grande caisse de verre fermée de quatre serrures d’acier fin, et qui n’en trouve pas moins le moyen de tromper sa surveillance ; cette beauté obtient leurs bagues et les joint à quatre-vingt-dix-huit autres, qui lui viennent d’un pareil nombre d’adorateurs. Schah-Kiar, persuadé, après cette aventure, qu’il n’y a pas au monde une seule femme fidèle, fait étrangler la sultane favorite et toutes les femmes qui la servent. Il jure de plus d’épouser une nouvelle femme chaque nuit, et de la faire étrangler le lendemain matin. La fille de son vizir parvient à faire cesser ces noces meurtrières, et à sauver sa propre vie en amusant le sultan par des contes. Toutes les premières histoires sont arrangées de manière à exciter tellement la curiosité dès le commencement, qu’en effet il est bien difficile de n’avoir pas envie de savoir le reste, surtout lorsqu’on peut dire ce que le sultan disait de sa première femme en se levant : Je la ferai toujours bien mourir demain.

Combien y a-t-il eu d’éditions de ce livre si ingénieux, si amusant depuis le siècle de Louis XIV, époque de son apparition ? Combien y en aura-t-il encore ? Un livre qui a charmé tous les âges, qui faisait les délices de Voltaire et de la Harpe, de Napo-