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cet attachement ; je sais qu’il ne peut que nous perdre, mais comment échapper à sa destinée ? Résolue à vous fuir, j’ai cherché la distraction dans un monde où j’étais sûre de ne pas vous trouver ; mais je ne conduisais que ma personne au bal, la meilleure moitié de moi-même restait avec vous… Édouard, je vous ai dit ce que je ne voulais pas vous dire ; nous ne savons que trop bien ce qui est au fond de nos cœurs ; ne nous voyons plus seuls. » On pense bien que, malgré la défense, Édouard trouva l’occasion d’entretenir encore Mme de Nevers, et de lui peindre tous les tourments dont il était dévoré. La jeune duchesse, touchée de la violence de ses peines et de la sincérité de son attachement, lui offre sa main. Édouard confus, atterré de cette preuve d’amour, la refuse. « Je ne puis, dit-il, changer l’éclat de votre rang contre mon obscurité, vous faire porter un nom inconnu ! » Quoiqu’il y ait un certain héroïsme à faire le sacrifice de son propre bonheur, Mme de Nevers nous paraît encore plus grande quand elle propose sa main à Édouard, que lorsque celui-ci la refuse ; rien ne coûte à la jeune duchesse pour la félicité de son amant ; elle s’immole à son bonheur ; elle ne voit que lui, ne respire que pour lui ; le monde n’est déjà plus rien pour elle ! Cependant un temps viendra, et il n’est pas éloigné, où le monde la punira de ses dédains ; la malignité soulèvera le voile léger qui cache les sentiments des deux amants, que l’innocence de leur amour et la pureté du lien qui unit leurs âmes rend moins prudents. Les grossières félicitations du fermier général d’Herbelot ont commencé d’instruire Édouard des propos que la calomnie répand sur la plus vertueuse des femmes ; la légèreté du duc de L. achève de lui prouver que cet amour dont il n’a pu se rendre maître est devenu le sujet des railleries de la capitale. De quelle douleur Édouard est pénétré ! il n’a point voulu épouser Mme de Nevers pour garantir sa réputation de la médisance, et elle se trouve livrée sans défense à toutes les horreurs de la calomnie ; et pour comble de maux, on lui interdit jusqu’à la faculté de venger l’honneur de celle qu’il aime… — Cette partie du roman est surtout traitée avec un goût exquis. La scène d’Édouard et du duc de L., les reproches du maréchal d’Olonne, les adieux de la jeune duchesse, la résolution d’Édouard, qui va dans le nouveau monde chercher la mort, seul remède à ses souffrances, sont des tableaux déchirants, qui prouvent à la fois une grande connaissance du cœur humain et l’habitude d’exprimer avec la plus grande facilité, avec un rare bonheur d’expressions naïves, piquantes ou passionnées, les divers sentiments qui agitent notre vie. Le caractère de Mme de Nevers est tracé avec une délicatesse extrême, et soutenu avec une adresse admirable ; c’est un abrégé de la perfection.