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La fontaine a jailli si fort qu’elle ne cessera plus dès lors d’abreuver.

Pour perpétuer le mouvement d’une grande âme, nous avons encore les congrégations. Chacune d’elles enregistre et transmet à travers les siècles le fluide particulier de son fondateur.

Ce Père Gaudens n’est peut-être pas un mystique lui-même, mais à l’origine de son activité de missionnaire il y a l’inspiration du Père d’Alzon. Et tous ces religieux que j’ai vus, au long de ma route d’Asie, vivent d’un élan qui leur a été transmis ; ils continuent l’exaltation qui leur a été communiquée par les Vincent de Paul, les Loyola, les Jean-Baptiste de La Salle. De pauvres gens, auprès de tels chefs ! Peut-être, mais c’est la même flamme. Ils l’ont trouvée dans leur règle. Ces paysans de la Savoie, de la Lozère, de la Bretagne, ne pourraient pas demeurer dans ce dur Orient, s’ils ne se rafraîchissaient dans l’émotion de leurs premiers vœux. Ils gardent pour se soutenir la mémoire des minutes premières de leur vocation. Ils vivent, ils surmontent la routine, en maintenant le contact avec la pensée, le sentiment, l’influx de leur fondateur.

Quand j’ai vu les Assomptionnistes, les Capucins, les Lazaristes, nos religieux de tous ordres, soigner des enfants qui ne leur sont de rien, d’une telle manière qu’il était sensible qu’ils les tenaient pour des fils de roi, à cause de leurs petites âmes nées du ciel, j’ai reconnu qu’ils les regardaient avec le regard de l’Église.


IV. — Bon Père, qui me faites un léger reproche de ma curiosité sympathique pour le Tchélébi, croyez-vous que je ne voie pas que cette impulsion du Père d’Alzon est toute vers le renoncement, le sacrifice, l’amour actif, tandis que ces derviches, sous l’influence de Djelal-eddin et de la flûte charmante, dansent, dansent, et puis c’est fini !

O Tchélébi, le danser vous restitue une part de l’enthousiasme qui animait Djelal-eddin et Chems-eddin, vos maîtres ; elle vous rapproche de l’Ami ; mais que faites-vous de cette minute de grâce ? Et pour quelle tâche vous enflamme ce feu sacré ?

C’est le grand problème ! L’étincelle mystique et son emploi, l’enthousiasme sacré et son application, c’est le problème