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Il disait encore : « L’amour augmente par la musique et diminue par le plaisir, car celui qui s’adonne au plaisir, c’est comme s’il coupait les plumes de ses ailes, comme s’il brisait les marches de l’escalier qui conduit au ciel. »

La danse est un des innombrables moyens matériels de l’extase… (C’est un fait d’observation qu’elle accompagne naturellement les hauts états d’enthousiasme. À vingt-deux ans, au lendemain de son premier succès, le jeune Disraeli ressentit une telle excitation nerveuse, il était si fort ébranlé par le désir du pouvoir et de la gloire qu’il croyait percevoir le mouvement de rotation de la terre. Est-ce assez cosmique ? Il se figurait aller à l’encontre de ce mouvement de la terre, comme celui qui remonterait un tapis roulant.)

Le procédé mécanique est de l’essence de toute religion. On n’imagine pas une religion purement idéale et spirituelle. Il faut toujours des signes, des secours sensibles. Où cela s’arrêterait-il ?

Dans le fait, aujourd’hui, chez nous, c’est la pratique morale qui semble être devenue l’essentiel de l’activité religieuse. Mais si vous voulez une religion, il faut en conserver le noyau primitif, en entretenir le ferment. L’Église l’a bien compris. Elle a gardé, en les épurant, les procédés, toujours plus ou moins grossiers, dangereux souvent, de la mystique instinctive. Ses chefs n’ont pas cessé de spiritualiser ce mysticisme éternel. Ils captent la source et la canalisent, avant qu’elle devienne le torrent boueux. Ils imposent à l’élan mystique le contrôle rigoureux des règles morales, se refusant à encourager une extase stérile qui ne deviendrait pas un moyen de perfection. De la dansante flamme, vouée à s’éteindre si elle ne se nourrit que d’elle-même, la vive et sobre discipline des sacrements forme une lumière et un foyer.)


III. — De même qu’on peut susciter les états mystiques, on peut les ménager, les prolonger, et, une fois la crise passée, en assurer le bénéfice à soi-même, voire à ses disciples. Cette électricité du ciel, on peut l’accumuler dans un poème, dans une musique, dans un tableau, dans une cathédrale. Un moment d’union à l’esprit qui vivifie le monde va pour jamais nous charger de force. Resserré dans un chef-d’œuvre, l’enthousiasme d’un beau génie se dilatera indéfiniment dans les âmes.