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« Veuillez donc me pardonner, mon Père, un peu d’exaltation romantique que m’inspire le Tchélébi, puisque fatalement cette exaltation se tournera à magnifier avec plus de compétence nos grands ordres chrétiens et latins. »


KONIA ET L’ASSOMPTIONNISTE M’OBLIGENT À PHILOSOPHER

Et puis j’amasse ici des expériences décisives, qui réveillent en moi les plus vieilles, les plus belles questions, et qui peut-être m’aideront à les éclairer. Tout ce que je vois est chargé de sens : cette danse des derviches n’est pas un simple accident, un pur caprice ; elle répète, à sa façon, d’autres transports. Si elle me ramène à l’origine même de tout sentiment religieux, elle me rappelle aussi l’inspiration des poètes. Religion, inspiration, d’où viennent ces divines choses ? Y aurait-il des moyens artificiels pour nous élever jusqu’à elles ? Des moyens encore de fixer ces minutes sublimes dans une œuvre et dans une vie ? Vingt points de vue s’ouvrent devant moi :


I. — Le fait mystique, dans son essence, est le même à toutes les époques, sous les climats les plus divers. Un même esprit fluide et brillant court à travers les âges. L’étincelle repose au sein de tous les êtres, prête à jaillir sous un choc. Nul qui ne puisse avoir son moment. Les circonstances les plus diverses dégagent en nous cette électricité ; et le plus positif des êtres, dans une minute heureuse, sera remué, labouré, jusque dans ses profondeurs.


II. — Il est fatal que celui qui a joui une fois de l’ivresse mystique et de cette abondance de forces veuille les retrouver, cherche à refaire les étapes de son ascension, à les ménager à ses frères.

De là tout un mécanisme, toute une méthode d’initiation.

Djelal-eddin recommandait la diète et l’inanition. Il avait coutume de célébrer « le vide du ventre. » « Le jeûne, disait-il, est la pioche des sources de la sagesse. Dans le for intérieur des prophètes et des saints, les sources de la sagesse se sont mises à bouillonner par suite de l’influence de la faim et du jeûne. Il n’y a rien qui fasse mieux parvenir l’ascète au but qu’il se propose que le jeûne pris pour monture. »