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les faire exécuter. La gendarmerie ne bouge pas, ni le procureur impérial, ni le Vali malgré ses promesses à notre ambassadeur qui dernièrement était de passage à Konia. La comédie continue et fait comprendre aux paysans qu’après avoir déjà trois fois labouré, trois fois semé chez moi, ils pourront, dans cinq semaines, à la prochaine récolte, pour la troisième fois, me dépouiller tranquillement. Bien débonnaires encore seront-ils, s’ils ne viennent pas voler ou incendier mes propres ensemencements.

« En automne 1912, j’avais planté trente mille arbres d’un mètre cinquante de hauteur, voulant donner ici l’exemple du reboisement si joli et si utile. Les troupeaux envahisseurs ne m’en ont pas laissé un seul. J’en ai planté à nouveau quatorze mille en automne 1913 ; une partie est déjà mangée…

« Voilà, monsieur, les difficultés que l’on rencontre en Turquie, quand on veut y travailler, en s’entourant cependant de toutes précautions. L’argent et la peine que l’on dépense sont compromis, parce que les autorités vénales et xénophobes veulent vous ruiner. J’ai soutenu la partie, car j’étais fortement engagé et j’avais quelques capitaux en réserve, mais, si cette année avait été sèche, je n’aurais pu continuer ; j’aurais dû abandonner, en perdant un million effectivement dépensé et cinq cent mille francs de récolte et de labourage volés ou saccagés. C’est un pays admirable ; le paysan d’Anatolie, avec un maigre labour, sans fumure aucune, récolte une moyenne de 45 hectolitres d’excellent blé à l’hectare, et moi, en dépensant un tiers de moins que lui, j’arrive à produire le double de plus, tandis qu’en France la moyenne est de 22 avec de bons labours, des fumures et des soins nombreux. Mais jusqu’à ce que l’on ait réformé les rouages de l’administration turque, aussi bien que sa mentalité, je supplierai les Français de profiter de mon expérience et de celle de quelques autres et de ne pas venir s’établir dans ce pays. La loi y existe, mais n’est jamais appliquée. »


Tout cela, ce sont des faits d’un bien vif intérêt et que je recueille avec attention, mais mon esprit retourne invinciblement aux parties obscures de Konia. Je voudrais voir les disciples de Djelal-eddin avec les lunettes du Père Gaudens. Que pense-t-il des derviches, ce religieux ? Absolument rien. Ce sont