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Depuis sept siècles, chaque vendredi, ces derviches se livrent à l’enthousiasme. Quel est le fruit de leurs beaux paroxysmes ?

On a beaucoup parlé stérilement des grands poètes de l’Asie, et pour ma part combien j’en ai rêvé ! Or voici que j’ai pu m’approcher du tombeau de cet illuminateur de l’Islam. Les documents poussiéreux m’y sont apparus comme des choses vivantes. Maintenant il s’agit de les mettre à la disposition du public. Il s’agit d’introduire Djelal-eddin et le Soleil de Tébriz dans le cercle classique. Je voudrais les humaniser, à l’usage de l’Occident. Je suis encore loin de compte ! Au moins puis-je dire que j’éprouve de la sympathie, et que toutes ces choses, bien qu’elles me choquent, contiennent un ferment majestueux et doux. Le dieu y paraît. L’expérience que j’ai prise de ce Tchélébi et de ses disciples, tournoyant avec innocence et conviction au son de la flûte du poète immortel, ne me laisse plus lire sans émotion ce beau récit que voici du fils de Djelal-eddin sur son père et sa dervicherie :

« J’étais assis avec le médecin dans le collège (la dervicherie), lorsque tout à coup mon père entra. Il posa sa tête bénie sur mes genoux et regarda chaudement mon visage. « Oh ! mon fils, me dit-il, considère-moi longtemps. » Je lui répondis : « Peut-être au lendemain de la Résurrection, verrai-je pareillement votre visage béni ? — Par Dieu, s’écria le médecin, j’ai la croyance que quiconque aura vu dans ce monde une seule fois le visage béni de notre maître sera au jour de la Résurrection un intercesseur tout-puissant. » Mon père se leva alors et dit : « Dieu pardonnera à cause de toi à tous les médecins du monde. Oui, quiconque nous aura vu ne verra pas le visage de l’enfer. Il viendra un temps où ce collège sera totalement détruit, mais ceux qui passeront sur son emplacement n’iront pas dans l’enfer. » Et il chanta : « Tu es bien belle ! Que le mauvais œil soit loin de toi ! Heureux l’œil qui a vu ton visage ! Voir ton visage, c’est bien rare ! Heureuse l’oreille qui a entendu ton nom ! »

Avant que je le quitte, le Tchélébi me remet cordialement sa photographie où il vient d’écrire quelques phrases, rapidement, avec cette prodigieuse élégance de nos grands confrères les lettrés de l’Orient.

« Permission, à Notre Maître ! »

(Il demande au Maître, c’est-à-dire à Djelal-eddin, la permission