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lumière divine. (Ne demande pas « êtes-vous juif, chrétien, musulman ? » puisque tu les as enivrés.)

Quatrième verset : — 0 Chems-eddin, soleil de Tebriz, tu m’as fait souffrir beaucoup ; pourtant contre une souffrance tu m’as donné cent satisfactions.

La voix frémit, gémit, se lamente, se convulse pathétiquement. Et les derviches achèvent de s’installer.

Parmi eux, je vois le Balayeur. Me reconnait-il ? Il est en cérémonie. Le grand Tchélébi, demeuré seul au milieu des tombeaux, regarde ses disciples prendre place. Il porte une robe grise à ceinture rose ; un turban noir est roulé autour de son haut feutre. Quelle image inoubliable de douceur et de mystère, qui se détache sur le catafalque somptueux de l’aïeul !

Alors commence le thème suave des deux flûtes. Une seule d’abord, légère, incertaine, à laquelle répond une seconde, plus grave.

On entend le souffle du derviche musicien sur le roseau.

Petit tambour ! Au premier coup, tous les derviches, assis en cercle, tapent des mains sur le parquet et inclinent leurs têtes jusqu’au sol.

À ce moment arrivent les dignitaires, qui jusqu’alors s’étaient tenus auprès des tombeaux. C’est une arrivée pleine de majesté, mais, à leur suite, les fidèles font une irruption sans tenue. Les derviches ayant cessé de frapper des mains et quasi de la tête sur le plancher se lèvent. Leur inclination à terre, c’était le signe des hommes qui meurent pour ressusciter ; maintenant la promenade commence.

Je note un épisode : un des derviches culbute et chasse un des spectateurs, qui sans doute riait.

Ils font trois fois le tour de la salle en longue file, l’un derrière l’autre, tandis qu’un petit orchestre placé sur une estrade joue, et ces trois tours expriment des manifestations de l’âme. Cette promenade, après leur résurrection, c’est la marche vers la divinité. Et le troisième tour achevé, les voilà devant Dieu. En fait devant le Tchélébi.

À ce moment-là, celui-ci donne l’autorisation de danser, et vient prendre la tête de la promenade. Son premier acte, c’est de s’avancer de deux ou trois pas, pour un profond salut au tombeau du poète. Puis il se retourne et s’incline profondément devant le derviche qui le suit, comme s’il voulait communiquer