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bonnets ; elles jetaient dans ses souliers tous leurs joyaux, avec l’espoir qu’il leur accorderait une faveur ; mais après avoir accompli la prière du matin avec elles, il les quittait.

C’étaient là, semble-t-il, des séances fort tapageuses, car, une nuit, un groupe de Djinns qui habitaient le quartier vinrent se plaindre à ces dames : « Nous n’avons pas, dirent-ils assez sèchement, la force de supporter tout cet éclat de lumière. Dieu vous garde qu’une douleur vous atteigne par notre faute. » Elles allèrent rapporter cette demi-menace à Djelal-eddin, qui sourit et d’abord se tut. Après trois jours, il dit : « Ne vous préoccupez pas. Tous ces Djinns sont devenus mes disciples, ils ne causeront de peine ni à vous, ni à vos enfants, ni à vos amis. »

Il y a aussi des histoires de saints derviches et de femmes inquiètes, des anecdotes qui découvrent avec une étonnante brutalité le mépris des hommes de Dieu, en Orient, pour les personnes du sexe, et la part d’érotisme qui se mêle au mysticisme brut, non encore épuré par l’Église.

Mais il faut que je m’arrête. Si Konia m’enchante au point que je n’y peux connaître la fatigue, je dois compter avec celle du lecteur. Dieu ! quel ennui de quitter bientôt un lieu tout brillant de ces trésors sur lesquels l’ombre va redescendre. Le silence que j’ai troublé va se rétablir dans ces petites mosquées des saints. Leur solitude profonde donne le plus beau sens à ce mot d’un Cheikh qui durant une danse, après la mort du poète, dit : « Il est venu comme un étranger dans ce monde et s’en est allé de même… »

Cependant, visible de toutes parts, une pyramide de faïence d’un bleu verdâtre surmonte son tombeau, et cette haute turquoise découpée sur l’azur m’appelle. L’heure du concert est venue. Je vais me plonger dans ses extases, qui complètent les délires des Bacchantes de Byblos et le séidisme des jardins d’Alamout.


LA DANSE

Me revoici dans le couvent des Derviches tourneurs et dans leur salon de danse, surmonté d’une coupole et planchéié d’un bois blanc poli par le frottement. Pour l’instant il est vide. Le public s’amasse dans la salle-vestibule, et seuls les privilégiés,