Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 17.djvu/737

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des grandes âmes ! Histoire héroïque, histoire éternelle. De nos jours encore, c’est le même phénomène. Deux mystiques s’ils se rencontrent, se confirment l’un l’autre dans la confiance qu’ils peuvent avoir de leurs expériences. À se voir favorisés d’une manière analogue, ils prennent une sécurité inébranlable. « Je suis dans une voie connue ; je ne suis pas seul ; je ne suis pas la dupe d’une illusion… » Mais ce n’est pas assez de dire que leurs deux extases se confirment ; elles se surexcitent l’une l’autre, et de vingt manières que l’on retrouve pareilles à travers les siècles, dans les pays les plus variés. Ainsi, chez nous chrétiens, les humiliations de saint à saint. « Tu es un chien. Tu ne mérites pas de délier les souliers de Judas. Je vais te fouler aux pieds… » Vous distinguez quelque chose de cela dans la cellule, où trois mois durant, Djelal-eddin et Chems-eddin demeurent en tête à tête. Vous y vérifiez aussi l’immense plaisir qu’à toutes les époques, dans tous les pays, tous ces mystiques éprouvent à se rencontrer. Ils volent à travers le monde, à la recherche les uns des autres. Nos aïeux ont vu M. Olier sillonner la France de ses pèlerinages à des femmes mystiques. Sitôt ensemble, et sans qu’ils se dissent rien, l’extase commençait. Et ainsi se justifie la valeur universelle de la définition donnée par Calah-eddin, le Batteur d’or (celui dont le Balayeur m’a parlé) à qui l’on demandait : « Quel est le vrai mystique ? » et qui répondait : « C’est celui qui te parle de ton mystère pendant que vous vous taisez. »

Cet influx réciproque de deux êtres, cette fascination et cet engendrement des âmes, c’est un phénomène primitif et qui compte parmi les pulsations vitales du cœur de l’humanité. Chaque race, chaque pays, chacun de nous, peut-être, l’a éprouvé. À Port-Royal, Saint-Cyran hypnotise la Mère Angélique et bien d’autres ; à La Chesnaye, le charme de Lamennais agit sur des êtres aussi différents que le jeune Montalembert (qui pouvait être prédestiné par son hérédité méthodiste) et sur Maurice de Guérin (lui, tout entier, noyé dans la nature). Mais les faits ne sont nulle part plus attrayants et plus puissants qu’à Konia.

Quelles influences catholiques de Byzance et d’Arménie venaient se combiner dans cette ville sainte avec l’Islam arabe et avec les ferments anti-islamiques que la famille de Djelal-eddin apporta de l’Asie centrale ? Ce n’est pas moi qui peux traiter ce