Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 17.djvu/547

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Le roi tout-puissant a établi une harmonie pour que l’esprit et le corps soient disposés à accepter le pacte et à supporter es misères.

« L’esprit est un isolé, tandis que le corps est dans sa propre patrie ; aie donc pitié d’un étranger, atteint de nostalgie, qui est bien éloigné de sa demeure. »

Sa demeure ! Où donc le sage compte-t-il trouver sa patrie et son repos ? Écartons ce brillant schall des Indes que ! Ecole de Konia déploie devant ses initiés des premiers degrés ; écoutons dans toute son ardeur douloureuse le chant des extatiques, leur vérité suprême :

« Je meurs comme pierre et je deviens plante ; je meurs comme plante et je suis élevé au rang d’animal ; je meurs comme animal et je renais homme ; mourant comme homme, je revivrai ange. Je dépasserai l’ange même, pour devenir quelque chose qu’aucun homme n’a vu, et alors, je serai le Rien, le Rien ! »

Par une contradiction qui n’est qu’apparente, une merveilleuse force de vie se dégageait de ce grand nihiliste. Ses compagnons, s’ils venaient à le perdre de vue, éprouvaient une affreuse sensation de vide et perdaient toute allégresse. Ils étaient comme des amoureux qui ont besoin de se recharger de fluide auprès de l’être qui les a fascinés. Aussi essayait-il de les dresser à trouver dans l’idée les forces spirituelles qu’il y avait déposées dans l’extase : « Quiconque ne se sent pas agréablement en mon absence est celui qui ne m’aura pas connu. Celui-là seul m’aura vraiment connu qui se sentira bien, même sans moi. Ne sera-t-il pas animé par ma pensée ? » Et il précisait : « Toutes les fois que tu te trouveras en agréable état, sache que cet état, c’est moi en toi. Lorsque tu me cherches, cherche-moi vers la joie, car nous sommes les habitants du pays délicieux de la joie. »

Recueillons encore son conseil : « On vous raconte les méchancetés commises par vos amis. Il faut les interpréter soixante-dix fois en bonnes intentions. S’il n’y a pas moyen, dites-vous que ! auteur de toutes choses comprend ce mystère, et tranquillisez votre cœur, afin de ne pas rester sans amis. Celui qui cherche un frère sans défaut, reste sans frère. » Et il chantait : « L’ami est un miroir pour l’âme dans le chagrin ; ne souffle pas, ô mon ami, sur la surface du miroir. »