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deux mystiques reprirent leurs glorieuses amours au milieu d’une opinion publique de plus en plus assombrie. Chems-eddin avait captivé complètement Djelal-eddin. Le temps qu’il ne passait pas dans la cellule de son ami, il demeurait assis à la porte du collège, et il disait aux visiteurs : « Qu’avez-vous apporté, et quel présent me donnerez-vous pour que je vous le montre ? » Un jour, un de ces importuns lui demanda : « Et toi, qu’as-tu apporté ? » Il fit cette réponse tragique : « Je lui apportai moi-même, et j’ai sacrifié ma tête pour sa vie. » Peu après, une nuit qu’il était assis auprès de Djelal, du dehors quelqu’un lui fit signe de sortir. Il se leva et dit tout haut : « On m’appelle pour le supplice. » Djelad-eddin, après un silence, récita le verset du Coran : « N’est-ce pas à Lui qu’appartient la création et le droit de commander ? » On dit que ces misérables envieux se tenaient en embuscade, à la manière des Ismaéliens. Ils le poignardèrent. Djelal-eddin s’écria : « Dieu fait ce qu’il veut ; Il juge selon son bon plaisir. Chems-eddin avait promis. Il avait mis sa tête en gage en signe de reconnaissance pour notre mystère. La prédestination divine a suscité l’individu qui a pris les dispositions appropriées. » Ensuite il se livra à de grands troubles ; il commença le concert spirituel et se mit à chanter : « Si les yeux de ma tête pleuraient autant que j’ai de chagrin, ils pleureraient jour et nuit jusqu’à l’aurore. Chems-eddin de Tebriz est parti. Où est la personne qui pleurera sur cet honneur de l’humanité ? Qui ose dire que ce vivant éternel est mort, que le Soleil de l’espérance s’est éteint ? L’ennemi du Soleil est monté sur la terrasse de la maison, il a fermé ses deux yeux et s’est écrié : Le Soleil s’éteint ! »

Il se rendit du côté des jardins et n’assista pas à l’enterrement de son ami. Au bout du quarantième jour, il se coiffa d’un turban couleur de fumée, et jusqu’à la fin de sa vie il ne mit pas de turban blanc. Certains sont d’accord pour affirmer que Chems-eddin, après avoir été blessé par les conjurés, disparut. Mais la version la plus accréditée, c’est que ces misérables le jetèrent dans un puits. Parmi eux était l’un des fils de Djelal-eddin, Ala-eddin, qui était marqué de ce sceau d’infamie : « Tu n’appartiens pas à ton peuple, » et qui ne tarda pas à mourir.

La vie de Djelal-eddin, après cette crise de folie sacrée,