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de noms, et l’on peut voir le Créateur dans chaque objet créé. »

Il vécut jusqu’à l’âge de 85 ans. Dans ses derniers temps, il se promenait continuellement autour des cimetières et disait : « Oh ! mon Dieu ! tu nous as ordonné pendant la nuit de contempler les étoiles brillantes du ciel… Le ciel, ce lieu éloigné de toutes les hypothèses et de toutes les imaginations, où il n’y a que l’amour ! l’amour ! l’amour ! » À sa mort, ce fut un regret général, et tous disaient : « Ce paon du trône de Dieu est parti vers le trône, lorsque les voix mystérieuses lui en apportèrent l’odeur. »

Djelal-eddin hérita la chaire magistrale de son père. Toutefois, avant d’y professer, il alla se perfectionner en Syrie. Il étudia à Alep, à Damas, et là, un jour qu’il se promenait dans le Meidan, il rencontra un individu étrange, vêtu de feutre noir, coiffé d’un bonnet noir. C’était Chems-eddin Tebrizi qui, lui baisant la main, lui dit : « Je suis le changeur du monde, » et se perdit dans la foule. Djelal-eddin rentra à Konia et commença son enseignement ; Chems-eddin continua d’errer, comme l’oiseau dans le ciel, quand il cherche son orientation ; mais ils devaient se revoir. Ils étaient prédestinés pour être l’un à l’autre un décisif événement.

Hier, le Tchélébi m’a ouvert une importante vue, sûrement exacte, quand il m’a dit : « Chems-eddin, ce fut l’allumette. Un tel homme, nous ne pouvons pas le rencontrer sans vouloir nous en faire une idée.

Et d’abord, quelque chose nous intéresse vivement, nous qui venons de nous promener avec tant de passion sur les traces des Hashâshins : ce Chems-eddin Tebrizi, ce Soleil de Tebriz, se rattache, dit-on, aux Grands Maîtres d’Alamout. Il serait de leur sang. Ne fût-ce qu’une légende, elle est significative. J’ai essayé de me la faire confirmer par les Ismaéliens sous les oliviers de Khawabi. Ils en avaient tout au moins une notion confuse. Cet errant drapé de son manteau sombre et qui doit disparaître si tragiquement de la scène du monde, c’est un petit fils de Bozorg-Omid, le successeur de Hasan Sabah. Par là il nous semble un prédestiné des grandes aventures de l’âme.

Lui-même, il a raconté ceci : « Quand j’étais enfant, je voyais Dieu, je voyais les anges, je contemplais les choses mystérieuses, et je pensais que tous les hommes les voyaient.