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qu’il atteindrait la plus éminente spiritualité, et lui remit un exemplaire de son Livre des secrets, cet exemplaire même dont le balayeur m’a dit, l’autre matin, que de toute la bibliothèque de Djelal-eddin, il avait été le seul ouvrage épargné par Chems-eddin.

Cette merveilleuse rencontre du glorieux vieillard et du jeune génie eut lieu à Nichapour vers 1210, quand Beha-eddin Weled, ayant encouru la jalousie du sultan, dut s’éloigner de Balkh. Les fugitifs allèrent à Bagdad, à la Mecque, à Damas. Toute sa vie, le poète garda le plus vif souvenir des misères de cet exode, et bien plus tard, un jour de tristesse, à Konia, dans une grande séance de concert, au son de la flûte, il chanta : « Il y a longtemps que le cœur du mystique est plongé dans la douleur. La colère des cœurs ruine les mondes ; voilà pourquoi le malheureux Khoraçan est en ruines, au point que la restauration n’en est pas possible. » Ses disciples le prièrent de s’expliquer, et c’est alors qu’il leur raconta les tribulations de l’exil.

En cours de route, quand Djelal eut atteint l’âge de puberté, on lui fit épouser une jeune fille de Samarcande, une fille sans pareille pour sa grâce et sa perfection. On l’appelait Gauter-Khàtoun. Djelal avait alors dix-huit ans. Sultan Veled fut leur premier-né. Par la suite, quand le père et le fils allaient ensemble à une réunion, ils ne manquaient jamais de s’asseoir l’un à côté de l’autre, et tous les assistants croyaient qu’ils étaient frères.

Quatre années après ce mariage, Béha-eddin avec tous les siens se fixa enfin à Konia, auprès du prince des Seldjoucides, et commença de professer, comme il avait fait à Balkh. Plus timide que ne devait l’être celui de son fils, son enseignement semble avoir été plein de lumière, d’imagination et d’amour. Un vendredi, comme il disait qu’aux jours de la Résurrection, le Très-Haut récompensera les bonnes œuvres et les bonnes mœurs au moyen des houris, un vieillard se leva dans un coin de la mosquée et s’écria : « Aujourd’hui, dans ce monde, occupons-nous des traditions qui peuvent instruire les croyants. C’est plus tard qu’il suffira de contempler le visage des houris. » Il répondit : « Mon cher, si je parle des houris, c’est à cause de l’imperfection de l’intelligence du commun des hommes. Le principe, c’est de voir l’Ami, mais cette vue a toute sorte