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Les yeux de l’enfant mystique étaient pleins de l’ivresse causée par l’océan tumultueux de la divinité, ce qui fait qu’il a été dit : « Dans ses deux yeux, vois l’image de notre Ami dansant sur le fond noir de son regard. »

Connaissez-vous sa vie ? J’ai feuilleté indéfiniment les Saints des Derviches tourneurs, d’Aflaki, dans la précieuse traduction que nous a donnée Claude Huart, un ouvrage fort analogue aux Fioretti que, dans le même temps, recueillaient les disciples de saint François. La valeur historique de ces sortes de légendaires est douteuse, mais qu’ils nous font bien connaître le milieu spirituel où se sont formés ces grands ordres religieux d’Assise et de Konia !

Djelal-eddin naquit aux premières années du grand treizième siècle, de race royale par sa mère et sa grand mère, — ce qu’un poète exprime par ces vers : « En remontant jusqu’aux reins d’Adam, tous ses prédécesseurs ont été les grands des festins et des guerres ; » — et de race savante par son père, Béhâ-eddin Weled, qui émerveillait le Khoraçan par son professorat, sous le titre de « Sultan des savants. » Mais plus haut encore, par un privilège du ciel, il appartenait à l’espèce de ceux en qui le divin respire. Un charmant enfant, gracieux, plein de poésie, de religion et de visions. Parfois, à l’âge de cinq ans, il tressaillait, changeait de place, s’agitait ; les disciples de son père l’attiraient alors au milieu d’eux ; et dans ces moments, les apparences mystérieuses prenaient forme, se cristallisaient sous ses yeux : il voyait les anges, les djinns et les hommes illustres, ceux que l’on nomme « les Voilés de la coupole de Dieu. » Un jour, à Balkh, qu’il était avec ses petits camarades sur la terrasse qui, là-bas, recouvre chaque maison, l’un d’eux s’écria : « Je parie que je vais sauter de cette terrasse sur cette autre. — Non, répondit-il, une action de cette sorte ne peut provenir que d’un chat ou d’un chien. Mais s’il y a dans votre âme de la force spirituelle, venez, et nous nous envolerons jusqu’au ciel. » Sur ces mots, il disparut. Les enfants se mirent à pousser des cris. Au bout d’un clin d’œil, il revint au milieu d’eux, et un changement était devenu visible dans son corps béni. Les enfants, la tête découverte, se prosternant à ses pieds, devinrent ses disciples.

Cette parcelle de Dieu fut reconnue en lui, quand il avait sept ans, par le poète Férid-eddin Attar. Le vieil homme prophétisa