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Il accepta volontiers ; puis, dans la soirée, il vint se décommander, et je ne l’ai plus revu, car j’avais eu l’occasion de faire la connaissance de quelqu’un qui lui est infiniment supérieur.


PREMIÈRE CONVERSATION AVEC LE TCHÉLÉBI

Frappé du plaisir que je trouvais dans la société de ce balayeur, M. Noblet m’offrit de me conduire chez le Tchélébi, qui est le descendant de Djelal-eddin et son successeur à la tête de l’ordre des Mevlévis, et il avait poussé l’obligeance jusqu’à persuader M. Ara Handjian, inspecteur de la Dette publique ottomane, de me servir d’interprète. Vous pensez si j’ai accepté d’enthousiasme une proposition qui comblait mes désirs.

À quelque distance de la ville, une petite propriété campagnarde, où nous sommes accueillis par un derviche, charmant de bonté et d’humilité, qui nous sourit et qui s’en va, en tournoyant, me semble-t-il, avertir son maître. Nous l’attendons devant la maison, une maison blanche assez basse, au petit perron très simple. Une prairie la précède, bordée sur la route par des jujubiers dont l’odeur parfume l’air, sur l’autre côté par des bâtiments domestiques, et fermée, tout au fond, devant nous, par de hauts peupliers derrière lesquels elle continue. C’est un paysage bien arrosé et verdoyant, d’une paix religieuse. Un mouton paît ; l’eau bruit : une petite fille demi-nue surgit ; des oiseaux gazouillent. « La vie est douce ici, » me dit l’interprète.

M. le Supérieur va venir. Et d’abord, on nous apporte de la confiture, du mastic et de l’eau.

Le voici ! Une physionomie très fine, de charmantes manières, une taille moyenne, un type un peu arménien, le nez légèrement aquilin, la barbe un peu frisottante. Son teint est assorti à son haut chapeau de feutre, couleur de miel, et à sa robe de bure qui flotte sur un vêtement gris.

Nous nous asseyons devant la maison.

— Monsieur le Supérieur, lui dis-je, je suis venu à Konia saluer le tombeau de Djelal-eddin Roumi et m’instruire de la pensée qu’il a transmise à votre ordre. Ce matin, en visitant à la dervicherie le salon de danse et le salon mortuaire des saints, je me répétais ce que dit le Divan : « Finalement, les adeptes du