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m’expliquer les parties obscures du Mesnévi. Je vous emmène, je vous prends pour professeur. Nous ne nous quitterons plus. Connaissez-vous Chems-eddin ?

— Oui.

— Quel a été son rôle ?

Il paraissait un peu inquiet. Il offrit de sortir, et dit que l’on causerait mieux ailleurs.

— Je le veux bien, car j’ai peu l’habitude de discuter, les pieds quasi nus sur des dalles quasi glacées.

Il nous conduisit dans une petite cellule. Un de ses confrères l’avait suivi, et je vis qu’ils se concertaient pour avoir du café.

— Je ne prendrai, lui dis-je, qu’une cigarette et votre science. Comment se fait-il que vous sachiez quelque chose ?

— Tous les derviches sont les enfants de Djelal-eddin. Il n’y a pas d’inégalité autour de lui. Il a dit : « Je préfère mes derviches à mes enfants. » D’ailleurs, j’ai été dignitaire. Mon prédécesseur a été exilé. Je lui ai succédé. Il a été gracié et je suis rentré dans le rang.

— Parfait, excellent ! Ne prenez pas la peine de me parler de vous. Vous êtes un type qui a eu des malheurs. Il y en a partout. Laissons cela, car je ne suis pas indiscret, pas même curieux. Parlez-moi de Chems-eddin.

À ce moment un vieux derviche vint annoncer que c’était l’heure du déjeuner.

— Quel, ennui ! Enfin, s’il le faut, déjeunez. Mais tâchez de me rejoindre, aussitôt que possible, à la Banque ottomane. Je lui remis ma carte. Il m’assura avec de grands respects qu’il ne mangerait qu’une bouchée.

………….

— Viendra-t-il ? disais-je quelques minutes plus tard avec anxiété à M. Ernest Noblet, le directeur de la Banque ottomane.

— N’en doutez pas.

— Ce déjeuner, ce n’est pas une défaite ?

— Nullement ! Les derviches habitent où il leur plaît, mais la dervicherie leur sert des repas, à heure fixe. Songez que l’ordre de Konia dispose de cent quatre-vingt mille francs de rente. Votre homme va accourir, sitôt restauré, et permettez-moi de vous dire, avec la connaissance que j’ai du pays, qu’une fois