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terre à profusion. L’air est chargé de l’odeur violente des roses mortes, des œillets, des lis et de l’encens. Une lumière parcimonieuse glisse à travers les vitraux de couleur. Des carreaux émaillés vêtent le bas des murs, et plus haut, çà et là, dans de grands espaces muets, des faïences développent d’admirables inscriptions bleues et noires.

Je me tenais debout devant le tombeau glorieux, et je jouissais d’avoir atteint le but dernier et le plus haut de mon voyage, quand, soudain, je sens une main qui prend mes deux mains croisées derrière mon dos, et qui les ramène le long de mon corps ! Je me retourne. C’est un derviche balayeur, un grand diable à la fois sournois et déférent, et dont le regard me déclare : « Oui, c’est ainsi. »

— Eh ! mon garçon, lui dis-je, quelle mouche vous pique ?

— Il prétend, m’explique l’interprète, qu’il n’est pas convenable que vous vous teniez devant le tombeau ayant les deux mains croisées derrière le dos.

— Ah ! par exemple, pas convenable ! Il m’accuse de manquer de respect, lui qui néglige de balayer le sol autour du tombeau sacré, que moi, je suis venu honorer de si loin ! Traduisez-lui bien exactement mes paroles : j’ai traversé la mer, les terres, et j’ai fait des milliers de kilomètres, par amour pour le grand Djelal-eddin Roumi, et je vais lui donner une gratification pour qu’il m’aide à comprendre les vers du Mesnévi qui sont inscrits sur le tombeau.

Et cet audacieux balayeur de me dire, dans un français fort intelligible :

— Ce ne sont pas des paroles du Mesnévi, mais du Coran.

Je crus entendre l’ânesse de Balaam parler.

— Comment ! vous parlez français ?

— Un peu.

— Et vous connaissez le Mesnévi, le Divan !

— Je les connais.

— Et vous tournez ?

Il fit signe que oui… Il s’exprimait avec peine en haletant et comme un cheval broie de l’avoine. Je le saisis par le bras avec enthousiasme.

— Que faites-vous ici ?

— Je balaye.

— Vous balayez ! C’est insensé ! Vous feriez mieux de