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LE TOMBEAU DE DJELAL-EDDIN ROUMI

Vue du dehors, au premier aspect, la dervicherie est agréable, sans plus, et même assez ordinaire. Derrière une grille de villa, une mosquée blanche et jaune, précédée de petits jardins, une fontaine rituelle, des stèles funéraires coiffées du turban, d’étranges loges vitrées, espèces de salons -— tout bariolés et brillants de miroirs et de pots de fleurs : c’est un assemblage à la fois hétéroclite et banal, un peu décevant pour le pèlerin qui croit toucher au pays de ses songeries. Mais sitôt les premiers pas dans l’intérieur, le mystère et le recueillement commencent, et nous sommes saisis par un singulier mélange d’opéra et de chapelle… Je pénétrai d’abord dans une salle de prière, à cette heure vide et obscure, où se tiennent, me dit-on, les fidèles pendant les séances de danse. Des nattes y couvraient le sol. De là, par une petite baie, nous passons dans une seconde salle, couverte d’une coupole que quatre arcs supportent. C’est la salle de danse, bien parquetée de bois blanc ; un skating, aurions-nous dit dans ma jeunesse, quand nous patinions à roulettes ; un dancing, dirait-on aujourd’hui. Et par une baie gigantesque, à droite, nous apercevons le salon des tombeaux… C’est mon but, et j’y cours.

Voilà le cénotaphe du Maître, entouré des tombeaux de ses fils et successeurs, les tchélébis. Ce tableau, éclatant de couleurs et d’un aspect solennel, proclame de la manière la plus saisissante la mission de Djelal-eddin, d’un caractère unique dans l’histoire des lettres et de la religion. Ce grand poète n’est pas seulement le fondateur d’un ordre, mais le chef royal d’une longue dynastie, au milieu de laquelle splendidement il repose. Tous ces monuments funéraires sont coiffés du bonnet légendaire des Mevlévis ou derviches, un haut bonnet de feutre brun clair, et habillés, comme de housses précieuses, de tapis de velours et de soie, qui font des épaisseurs et traînent jusqu’au sol. Au-dessus d’eux descendent des voûtes de longs cordons où pendent des lustres, des houppes de soie, des œufs d’autruche, des ex-votos, des bouquets de fleurs enrubannées. Tout autour, des cierges brûlent dans des chandeliers gigantesques de cuivre damasquiné. Puis, c’est tout un mobilier, des pupitres relevés de nacre et d’ivoire qui soutiennent des manuscrits, des brûle-parfums ciselés et niellés, des nattes de jonc et des tapis par