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mes notes plaintives ont ému les hommes et les femmes jusqu’aux larmes. J’ai brisé mon cœur, en m’efforçant de donner libre cours à mes soupirs et d’exprimer mon angoissante nostalgie de mon foyer. Celui qui vit loin de son foyer aspire continuellement au jour où il y reviendra. Mon gémissement est entendu dans toutes les foules, par ceux qui se réjouissent et par ceux qui pleurent. Chacun interprète mes notes en harmonie avec ses sentiments. Aucun pourtant n’approfondit les secrets de mon cœur. Mes secrets sont contenus dans mes plaintives notes, mais ne se manifestent pas aux sens. Le corps n’est pas étranger à l’âme, ni l’âme au corps. Cependant aucun homme jamais n’a vu son âme.

« Cette plainte de la flûte est une flamme et non pas seulement un souffle. Que celui à qui manque cette flamme soit reconnu mort ! C’est le feu de l’amour qui inspire la flûte. C’est le ferment de l’amour que possède le vin. La flûte est la confidente de tous les amants infortunés ! Elle me contraint à dévoiler mes secrets les plus cachés.

« Qui a vu un poison et un antidote comme la flûte ? Qui a vu un consolateur aussi compatissant que la flûte ? La flûte raconte l’histoire des sentiers ensanglantés de l’amour

« Celui-là seulement dont les vêtements sont déchirés par la violence de l’amour, est complètement pur de toute convoitise et de tout péché. Salut à toi, Amour, qui es notre Platon et notre Galien !

« L’amour attire nos corps terrestres vers le ciel, et fait danser les collines mêmes de joie ! O amants, ce fut l’amour qui donna la vie au mont Sinaï, quand il fut secoué et que Moïse tomba évanoui.

« Si mon Bien-Aimé me touchait seulement de ses lèvres, moi aussi, comme la flûte, je me répandrais en mélodies. Mais celui qui est séparé de ceux qui parlent sa langue, possédât-il cent voix, il est réduit au silence… »


Comment de tels vers innombrables du Mesnévi et du Divan sont chantés et dansés par les disciples du poète, c’est ce que je vais apprendre, en saluant la tombe royale, au milieu du couvent où subsiste l’alliance primitive de la religion, de la musique et du délire. Voilà le vieux roi David ressuscité, voilà notre Théodore de Banville comblé.