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daient contre leur père, à propos d’une question de propriété qui les divisait. J’eus à cette occasion entre les mains le dossier de la séparation de corps entre Mme Dudevant et son mari. C’était au profit de Mme Dudevant que la séparation avait été prononcée et l’enquête, qu’avait ordonnée avant jugement le tribunal de la Châtre, établissait que les mœurs de M. Dudevant étaient assez vilaines. L’affaire venait en appel. Hébert aurait voulu que l’affaire me fût confiée. Maurice Sand et Mme Clesinger ne voulurent pas entendre parler d’un si jeune avocat et ils confièrent l’affaire à Allou qui la perdit. S’ils avaient consenti à m’en charger, nul doute qu’ils n’eussent été convaincus que c’était la faute de leur trop jeune avocat, et voilà comme il arrive souvent, quand on est jeune, qu’on se trompe dans ses désirs.

Je m’étais naturellement fait inscrire au nombre de ceux qu’on appelle les avocats d’office, c’est-à-dire des jeunes avocats qui acceptent d’être désignés par le bureau d’assistance judiciaire, par le bâtonnier ou par les présidents d’assises pour défendre des clients qui n’ont point d’avocat. C’est ainsi que j’ai plaidé plusieurs fois des affaires criminelles aux assises. Je me souviens encore d’un pauvre diable, enfant naturel, triste fleur du fumier de Paris, qui faisait partie d’une bande accusée à juste titre de nombreux méfaits. A l’instruction, il avait nié ; je le déterminai à avouer, espérant, à raison de cet aveu, obtenir pour lui des circonstances atténuantes. Mais il se refusa, par point d’honneur, à dénoncer ses complices qui continuaient à nier, contre toute évidence, de sorte que son défenseur se trouvait placé sur un très mauvais terrain. Il fut condamné à huit ans de travaux forcés, ce qui impliquait son maintien à la Nouvelle-Calédonie à l’expiration de sa peine. Le lendemain de sa condamnation, j’allai le voir à la Conciergerie où il était détenu. En le quittant, je lui serrai la main. « Ah ! monsieur, me dit-il, vous me serrez la main comme si j’étais un honnête homme, » et il était demeuré si reconnaissant de ce geste qu’il n’y a pas encore très longtemps, j’ai reçu une lettre de lui.

Comme affaire civile, je n’en ai plaidé qu’une importante et intéressante. C’était pour la duchesse de X..., contre son mari député d’un département de l’Est. Ils vivaient séparés, mais étaient mariés sous le régime dotal et le mari engageait dans des affaires imprudentes les revenus de la dot de la