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il languissait. Il était chargé de famille. Il avait épousé, très jeune, dans des circonstances que je ne connais pas, une Suédoise, qui avait, comme sa compatriote, Jenny Lind, une très belle voix. De ce mariage étaient nés trois enfants, un fils, Yalmar, qui s’est tué, une fille Thérèse, qui est aujourd’hui supérieure d’un couvent en Orient, et une autre fille Lucie, que j’ai connue, qui était charmante (je possède son portrait, par Landelle) et qui, après quelques années d’une jeunesse mélancolique, s’est faite également religieuse et est morte au couvent de Notre-Dame de Sion. Ce fut à Aix-en-Provence que lui parvint la proposition de venir à Paris pour collaborer au Journal des Débats. « Je m’étais dit, a-t-il raconté lui-même, que je ferais trois fois le tour de mon jardin avant de décider ce que je répondrais. Je n’avais pas fini le premier tour que déjà mon parti était pris. » Il accepta et vint s’établir à Paris où il alterna, pendant quelques années, la rédaction mensuelle de ce qu’on appelle le Premier Paris, avec un autre rédacteur nommé Alloury. Alloury lui-même racontait avec bonhomie que les acheteurs au numéro, avant de sortir quatre sous de leur poche, commençaient par s’informer si ce n’était pas le mois d’Alloury.

Le père de Prévost-Paradol était un modeste officier qui vivait à l’écart de sa femme. Sa mère avait été actrice aux Français. Il est question d’elle dans le Souper chez Mlle Rachel d’Alfred de Musset. Elle se distinguait par son plantureux sein, car Rachel dit dans ce Souper qu’il n’est pas nécessaire, pour jouer Phèdre, « d’avoir la poitrine de Mme Paradol. » Mme Paradol, mourant jeune encore, écrivit à ses camarades du Théâtre-Français une lettre pathétique pour leur recommander son fils. Fromental Halévy, le musicien, et Léon Halévy, l’helléniste, surtout Léon, veillèrent sur l’éducation de l’orphelin qui demeura très lié avec Ludovic Halévy. Les Premiers Paris de Prévost-Paradol étaient étincelants de verve et d’ironie surtout, car l’ironie était la seule forme que l’esprit d’opposition pouvait adopter sans péril. L’antique feuille où écrivaient habituellement le sage Saint-Marc Girardin et le catholique Sylvestre de Sacy, qui devait finir sénateur, se rajeunissait sous sa plume ; mais Prévost-Paradol écrivait aussi dans un journal hebdomadaire qui eut une existence courte et brillante : c’était le Courrier du Dimanche.