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Falloux dans une lettre qui m’a passé sous les yeux, et si les catholiques libéraux parlaient ainsi du célèbre polémiste, on peut penser de quel ton s’exprimaient sur lui ceux qu’il prenait à partie dans un camp encore plus opposé au sien. L’esprit cependant fait pardonner beaucoup de choses en France. « Ce diable de Veuillot a tant d’esprit, ai-je entendu dire un jour à M. de Rémusat, que, s’il se présentait à l’Académie française, je serais capable de voter pour lui. » Veuillot ne fit pas cette faute. Il comprit qu’il y a peu de logique à insulter les gens et à venir ensuite solliciter leurs suffrages, leur fournissant ainsi l’occasion d’une revanche qui peut consister aussi bien à voter pour qu’à voter contre eux. Veuillot se souvenait sans doute d’avoir dit, en parlant de Lamartine qui, dans une oraison funèbre, avait, suivant sa trop constante habitude, fait allusion à sa misère : « Ce jour-là, M. de Lamartine a fait la quête dans le chapeau du mort. » L’œuvre de Veuillot abonde en traits semblables et si, par la hardiesse avec laquelle il s’est non seulement déclaré catholique, mais vanté de l’être, il a pu faire au catholicisme (je ne parle qu’au point de vue du recrutement politique du parti) un certain bien, il est certain qu’il a, par ses violences, écarté beaucoup de personnes ; j’en pourrais citer. Une réaction s’est, dans ces derniers temps, opérée en sa faveur et mon regretté confrère et ami, le marquis de Ségur, a pu, sans soulever aucune protestation, lui consacrer une conférence singulièrement bienveillante. Ce qui lui a valu ce retour d’opinion, c’est d’abord que les insultés ont presque tous disparu ; c’est ensuite que les documents publiés depuis sa mort l’ont plutôt grandi. Il y a de belles choses et des choses touchantes dans sa correspondance ; ainsi la lettre où il parle de l’entrée de sa fille au couvent : « Je vous la donne, mon Dieu, écrit-il, mais je serais tenté de dire : pas pour tout à fait, comme disait un enfant qui donnait sa poupée. » Il la donnait cependant, comme fit également Montalembert, à qui l’entrée de sa fille au Sacré-Cœur causa une grande douleur. Cette commune douleur ne réconcilia pas les deux antagonistes. Lorsque Montalembert fut à l’agonie, Veuillot lui fit proposer un rapprochement. Montalembert refusa : le plus chrétien des deux fut assurément Veuillot.

Lorsque la chute de l’Empire permit la résurrection de l'Univers qui avait été supprimé et lorsque Veuillot reprit la plume,